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le joli tableau Ma Sœur n’y est pas reste jusqu’à présent, dans l’œuvre du peintre, le spécimen le plus significatif. Le tout au moins a, ce mérite d’être conçu en haine des plates réalités, des effigies vulgaires. C’est ce qu’on peut dire aussi du tableau que M. Schutzenberger a intitulé Terpsychore, et de quelques ouvrages inspirés d’assez près par les exemples de M. Hamon. La Confidence entre autres et une Tête de jeune fille par M. Aubert sont d’agréables morceaux, où l’on retrouve, avec des procédés d’exécution un peu chétifs, une imagination élégante et ce fin sentiment de la ligne qui avait valu, il y a deux ans, à la Rêverie du même peintre un très honorable succès.

L’école néo-grecque, pour nous servir d’un mot à peu près consacré, peut-elle réclamer comme un des siens M. Cabanel, ou plutôt les titres que s’est acquis depuis quelques années cet artiste distingué lui assurent-ils la place et le rôle d’un des chefs du mouvement ? Si l’on considère la variété des entreprises abordées par M. Cabanel, la diversité des sujets et des styles qui l’ont tenté successivement, il est difficile de rattacher à un groupe et à une tradition déterminés un peintre qui, après s’être souvenu des maîtres italiens dans sa Mort de Moïse, de M. Ingres dans sa Glorification de saint Louis, de Paul Delaroche dans sa Veuve du Maître de chapelle, a su ailleurs faire acte d’indépendance et n’exploiter que ses propres ressources. Le Martyr chrétien, que l’on a vu au Salon de 1855, ce plafond des Cinq Sens, dont nous parlions plus haut, et plusieurs beaux portraits prouvent que M. Cabanel est en mesure de vivre sans s’aider d’emprunts. À notre avis même, de tous les peintres d’histoire dont les débuts ne remontent pas au-delà d’une quinzaine d’années, aucun n’est aussi bien pourvu que lui, aucun ne possède au même degré les moyens de bien faire et le droit de parler net. D’où vient donc qu’il use si souvent de circonlocutions, qu’il s’abandonne et se rétracte, qu’il donne ici un gage de sa volonté, là un témoignage de son attention à écouter ses voisins et à consulter les signes du temps ? Sans les préoccupations que lui causent les idées actuelles de coquetterie pittoresque, sans les succès de M. Gérôme et des siens, compliqués de certaines traditions du XVIIIe siècle remises en honneur par d’autres artistes, M. Cabanel par exemple aurait-il été si ménager de sa verve, de l’énergie de l’expression, dans sa Nymphe enlevée par un Faune ? C’est là certes l’œuvre d’un talent décidé à plaire et n’omettant rien pour y réussir : est-ce l’œuvre d’un talent fortement ému et bien résolu à tout nous dire de ce qu’il a personnellement senti ? La correction élégante, mais un peu ténue du dessin, les combinaisons seulement ingénieuses du coloris, la marque en toutes choses de la recherche et du