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a hésité entre les souvenirs que lui imposaient ses premières études et certains instincts secrets d’indépendance ; mais depuis quelques années il a trouvé sa voie. Renonçant à l’idéal mythologique aussi bien qu’à la peinture des sujets sacrés, — et son dernier essai en ce genre, la décoration d’une chapelle dans l’église de Sainte-Clotilde, ne laisse pas de justifier une pareille résolution, — il s’est franchement donné pour tâche l’étude et la représentation des choses actuelles. Dans le beau fait d’armes que son pinceau reproduit aujourd’hui, le récit est digne de l’action, l’image très vraisemblable, on le sent, mais, on le sent aussi, tracée d’une main émue. Il y a de l’orgueil national sous ces dehors de stricte exactitude, une saine partialité du cœur dans ces informations de la mémoire, partout enfin quelque chose de plus que l’abnégation d’un annaliste ou l’avare éloquence d’un bulletin. Pourquoi faut-il que ce qui vivifie le tableau de M. Pils fasse défaut à la plupart des scènes du même genre que l’on a rassemblées dans le salon principal de l’exposition ? La vaste toile par exemple où M. Yvon a représenté la Bataille de Solferino n’exprime-t-elle pas avec plus de soin que de passion, avec une réserve bien voisine de la froideur, les caractères extérieurs de cette glorieuse affaire et les portraits au repos de ceux qui en ont décidé le succès ? Le pinceau a eu beau couvrir de poussière les uniformes et de sueur les flancs des chevaux, l’animation n’est nulle part. On pourra reconnaître dans les termes de ce fidèle procès-verbal les postes stratégiques assignés à chacun : on n’y devinera que bien incomplètement l’énergie inspirée de la lutte et le moment venu d’une grande victoire.

Au point de vue de l’exécution purement pittoresque, le tableau de M. Pils n’a pas une supériorité moins réelle sur les autres tableaux de bataille qui lui font face ou qui l’avoisinent. Le coloris, pesant ou équivoque ailleurs, est ici net et agile. La touche, rapide sans négligence, accentue le mouvement dans le sens exprès de la forme : mérite peu commun chez les peintres de notre temps, qui tantôt suppriment, sous prétexte de verve, la vraisemblance du dessin, tantôt l’immobilisent ou la surchargent sous prétexte de correction. N’exagérons rien cependant. La Bataille de l’Alma est une toile très digne d’éloges, mais dont le succès en d’autres circonstances et en regard d’autres ouvrages perdrait beaucoup de son éclat. Nous avons entendu sacrifier, très injustement à notre avis, la brillante manière de M. Horace Vernet à la manière de M. Pils, la vieille renommée du peintre de toute notre histoire militaire depuis un demi-siècle à la notoriété présente du peintre de l’Alma. La comparaison seule entre ces deux talens serait un acte d’ingratitude ou un paradoxe. On peut reprocher à M. Vernet, et Dieu sait si l’on s’en