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habilement élargir sa manière sans renoncer à ce goût pour la variété des élémens pittoresques, pour les formes épisodiques, qui est dans les habitudes et dans les conditions mêmes de son talent ; — les peintures exécutées dans la cathédrale d’Agen par M. Bézard, esprit loyal, artiste bien informé, auquel il ne manque peut-être qu’une confiance plus ferme et les excitations plus accoutumées du succès ; — d’autres compositions religieuses encore prouvent qu’une très notable partie de notre école, tout en demeurant éloignée du Salon, ne reste pour cela ni étrangère au mouvement actuel de l’art français, ni infidèle aux souvenirs qui l’obligent.

Dans le domaine de la peinture purement décorative, les mêmes faits se produisent, la même harmonie tend à s’établir entre les lois immuables de la tâche et les exigences du goût particulier à notre temps. Je sais qu’à côté des progrès accomplis en ce sens on pourrait signaler quelques méprises regrettables, que la décoration par exemple du grand salon dans le nouveau ministère d’état accuse, au point de vue de l’invention, du style, de la perspective même, des ressources bien insuffisantes ou de singulières distractions ; mais il ne serait pas difficile de rencontrer ailleurs la grâce d’imagination et la science qui font défaut ici. Sans sortir même du palais du Louvre, il suffirait de jeter les yeux sur le plafond où M. Gendron a groupé quelques figures aériennes et déroulé, avec un fin sentiment de la cadence des lignes et des tons, une de ces guirlandes animées qui participent à la fois de la fantaisie pittoresque et de la symétrie architecturale. Si l’on visite certaines habitations particulières, l’hôtel entre autres où M. Cabanel a personnifié sur les voûtes d’un salon les Cinq Sens, on reconnaîtra que les peintres de notre temps savent en pareil cas allier une élégance sans afféterie à une correction sans pédantisme. Des travaux de ce genre toutefois, en raison de leur destination même et de la place fixe qu’ils occupent, sont comme non avenus pour le public, accoutumé de longue main à n’interroger l’art français qu’au Salon. L’habitude est donc invétérée chez nous de réduire l’étude de l’art contemporain à l’examen des expositions périodiques ; malgré les symptômes les moins équivoques de déchéance, ces expositions nous trouvent façonnés à l’usage et confians dans des privilèges qui n’existent plus.

Après l’abstention des artistes éminens, soit qu’ils refusent systématiquement leur participation, soit que leur temps soit pris par des travaux de peinture monumentale, un fait doit être signalé qui exerce aussi une fâcheuse influence sur l’autorité du Salon. Nous voulons parler de ces expositions particulières qu’il est d’usage de multiplier depuis quelques années. D’abord il s’agissait seulement de remettre en lumière des ouvrages déjà connus, de nous montrer à côté