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de spectacle. Ce dernier résista pendant longtemps à l’attrait du fruit défendu. Un matin cependant qu’il entrait comme à l’ordinaire dans la chambre à coucher de son maître, il partit d’un grand éclat de rire : « Malheureux ! s’écria l’acteur, tu m’as vu hier au théâtre ! » Et il le congédia, tant il tenait à s’assurer le respect et la considération de tout ce qui l’entourait.

Les artistes ne sont renommés dans aucun pays pour leur économie ni pour leur prévoyance ; c’est là leur moindre défaut. On cite pourtant en Angleterre, à commencer par Shakspeare lui-même, un assez grand nombre d’acteurs qui, après avoir gagné à la sueur de leur front une fortune honorable, ont su la conserver par une sage conduite, et se sont retirés à la fin de leur carrière dans une riche maison de campagne. J’aime surtout à voir que, dans la Grande-Bretagne, des institutions sont venues au secours du côté faible de la profession dramatique. Les unes, comme le dramatic Equestrian and Musical sick Fund, se proposent d’assister les diverses tribus de la famille théâtrale dans leurs maladies et leurs besoins immédiats. Cette société avance même, dans certains cas et sous certaines conditions, les frais de voyage à des comédiens ou à des comédiennes qui sans cela n’auraient point le moyen d’accepter un engagement dans les provinces. Quelques acteurs qui nagent maintenant dans le luxe et qui jouissent d’une certaine réputation ont été aidés à un moment donné par cette caisse de secours mutuels, car quel est l’artiste qui n’a point eu ses mauvais jours ? Il y a d’autres associations qui ont surtout en vue de soulager les infirmités de la vieillesse : tels sont le Drury-Lane theatrical Fund, établi par David Garrick, le Covent-Garden theatrical Fund et le Royal general theatrical Fund. Il s’attache un véritable intérêt à l’origine de quelques-unes de ces caisses d’épargne et de prévoyance fondées pour les artistes. Il y a plus d’un siècle et demi, un très bon instrumentiste allemand, nommé Caitch, était venu en Angleterre. Il fut d’abord soutenu et encouragé ; mais comme il manquait d’ordre, il finit par tomber dans une affreuse misère. Un jour, on le trouva mort dans Saint-James, Market. Peu de temps après, Festing, le célèbre violoniste, se trouvait avec d’autres musiciens à la porte de l’Orange Coffee-House, quand ils virent passer deux enfans qui chassaient devant eux des ânesses. On leur demanda qui ils étaient, et l’on reconnut bientôt en eux les orphelins du pauvre Caitch. D’abord Festing fit une souscription parmi ses amis pour venir en aide à ces enfans ; puis, ayant parlé au docteur Green et à d’autres compositeurs, il établit en 1713 une société pour secourir les musiciens indigens, ainsi que les veuves et les orphelins de la profession. En principe, ces caisses de secours se trouvent alimentées par des contributions assez légères que paient