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son temps à Naples, car le général Türr, à son refus d’être ministre de la guerre, avait été nommé commandant militaire de la ville et de la province de Naples. Cela ne nous empêchait pas d’aller de temps en temps aux avant-postes, mais par pure curiosité, car il n’y avait plus rien à y faire. Quoi que nous en eussions, nous étions tristes, car nous sentions que notre aventure touchait à sa fin. La régularité un peu pédante des Piémontais n’allait pas tarder à remplacer la pétulance des garibaldiens. Nous en prenions notre parti, mais avec peine, et cependant force nous était bien de comprendre qu’après la journée du Vulturne et la prochaine arrivée de Victor-Emmanuel, nous n’étions plus qu’inutiles. Dès que le roi serait entré à Naples, il ne nous restait plus qu’à faire nos paquets et à partir. Le 15 octobre, toute une légion anglaise arriva, fort bien équipée, armée, reluisante et vraiment de belle attitude. La garde nationale alla au-devant d’elle en grande cérémonie, portant un drapeau anglais, tandis que les Anglais portaient un drapeau italien. Les deux bannières se firent toute sorte de politesses, et comme deux heures après son arrivée on trouva la moitié de la légion anglaise ivre-morte, couchée sous les tables des cafés, on l’expédia en hâte vers Caserte, où les spiritueux sont moins abondans. Le soir du même jour, nous enterrâmes le lieutenant Kanyok, de la légion hongroise. Au Vulturne, seul et attaqué par sept cavaliers royaux, il avait reçu cinq blessures, dont une avait déterminé une paralysie complète des jambes. Deux jours avant sa mort, il me disait : « Je suis bien aise de m’être trouvé dans cette situation, parce que si jamais elle se représente, je sais maintenant comment il faut faire pour s’en tirer. » Quatre jours auparavant, nous avions rendu les derniers devoirs au capitaine Fligel, qui, blessé de sept coups de feu et le visage balafré d’un coup de sabre, se fit asseoir contre un mur et ne voulut quitter le champ de bataille qu’après la victoire bien et dûment décidée. Je ne tarirais pas d’éloges sur cette légion magyare. Du reste, Garibaldi n’a pu s’en taire, il leur disait : « Vous êtes les premiers soldats du monde ! »

Le vote pour l’annexion eut lieu le 21 et le 22 octobre. À Naples, tout se passa dans un ordre parfait. On a parlé d’intimidation : j’ai vu à l’église Saint-François-de-Paule, où l’on votait, un homme arriver avec un non majuscule collé au chapeau ; vingt mille personnes l’ont vu comme moi, on en a ri, mais nul ne pensa même à lui faire ôter sa pancarte. On attendait le roi, on préparait les arcs de triomphe, les échafaudages s’élevaient lentement sur les places ; mais parmi les officiers garibaldiens il y avait quelque mécontentement. Victor-Emmanuel, avant de franchir la frontière, avait lancé un manifeste aux peuples de l’Italie méridionale, dans lequel il disait, à deux reprises