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pièce de Colin Bawn. Ce drame été joué à Dublin par un acteur irlandais et devant un public irlandais qui s’est enfin reconnu avec plaisir dans un miroir qui n’avait rien d’offensant ni d’exagéré.

Les enfans de l’île-sœur ne sont pas les seuls qui aient à se plaindre des infidélités de la scène anglaise. Il est rare de voir au théâtre un Écossais sans kilt et sans cheveux roux ébouriffés ; le docteur Johnson lui-même, malgré ses préjugés tenaces contre les habitans de la vieille Calédonie, reconnaîtrait néanmoins, s’il vivait encore, que le portrait n’est point toujours exact. On se peigne en Écosse tout comme ailleurs, et quant au kilt, c’est aujourd’hui en Écosse une sorte d’habit théâtral que l’on ne porte plus que dans certaines montagnes des highlands et ça et là par fantaisie, mais très rarement dans les grandes villes. Un Écossais en costume national fait aussi bien événement dans les rues d’Edimbourg que dans celles de Londres. Par un procédé tout contraire, quoique toujours de convention, les auteurs comiques ont beaucoup flatté le caractère du vieux marin anglais, old Jack. La raison de cette partialité est facile à saisir : la marine constitue le plus solide rempart de l’Angleterre, c’est le bras droit de la défense nationale ; aussi la littérature dramatique croit faire acte de patriotisme et en même temps obtenir les faveurs de John Bull en lui présentant toujours la vie des hommes de mer par le beau côté. Je n’ai certes rien à dire contre les marins anglais ; des braves qui disputent aux tempêtes leur existence de chaque jour et l’honneur d’arborer le pavillon de la mère-patrie sur toutes les côtes du monde connu sont naturellement des gens de cœur. Je pourrais même citer au besoin plus d’un trait de générosité qui les honore ; je les ai vus obliger de leur bourse des femmes, des enfans dans l’embarras, en demandant pour toute récompense qu’on se souvînt d’eux quand le vent sifflerait avec rage et quand l’éclair déchirerait le ciel noir. Tout ce que je regrette, c’est qu’on leur ait donné sur la scène anglaise une sorte de caractère stéréotypé. Qui a vu un vieux marin au théâtre les a vus tous. C’est toujours la même jaquette bleue, le même pantalon blanc, le même chapeau de paille ou de toile cirée : ce sont les mêmes danses et les mêmes tirades ronflantes sur la suprématie maritime de la vieille Angleterre. À Londres, ces déclamations sont assez innocentes, et peuvent même servir à ranimer le sentiment national ; mais dans certaines villes de garnison où se trouvent réunis à la fois des soldats et des marins, la préférence qu’on accorde sur la scène à ces derniers donne souvent lieu dans la salle aux luttes les plus acharnées et les plus violentes. J’ai été témoin, il y a quelques années, d’un de ces conflits entre les chemises bleues et les habits rouges dans le petit théâtre de Chatam. Ce fut une tempête, une bataille de coups de poing qui se termina cette fois par la défaite des homards ;