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Pour le coup, je ne pus me défendre d’un mouvement de surprise. — Colombine ? m’écriai-je. — Elle-même. Vous la voyez maintenant dans ses habits de travail ; vous la verrez à la première représentation dans toute sa gloire, d’abord comme la princesse sur laquelle les mauvais esprits ont jeté un sort, puis comme l’être transfiguré qui recouvre aussitôt l’éclat, la puissance et la fraîcheur de ses charmes. Elle fera fureur. — De ce dialogue nous conclûmes, mon ami et moi, qu’il ne fallait point s’arrêter à l’envers des illusions ni aux répétitions d’une pantomime. Le personnel de ces pièces anglaises mérite pourtant quelque intérêt. Longtemps le principal rôle fut celui d’Arlequin. Le fameux Rich s’y montrait, dit-on, tour à tour gai, gracieux et pathétique. Aujourd’hui ce caractère a beaucoup perdu de son importance. L’Arlequin moderne n’est plus sur la scène qu’un grand enfant, un homme ébauché, dont le principal mérite consiste à tourbillonner comme une feuille d’or engouffrée par le vent, ou à sauter du plancher de la scène vers une fenêtre haute, derrière laquelle se trouve un matelas étendu pour le recevoir. Ce changement, si j’en crois les antiquaires du théâtre anglais, est dû à l’influence du grand clown Grimaldi. Son jeu extraordinaire rejeta sur le second plan et même effaça presque entièrement le héros de l’ancienne pantomime. Les choses en sont restées au point où les avait laissées Grimaldi[1] ; seulement les Anglais se plaignent avec amertume de n’avoir plus même de bons clowns. Deux des plus renommés, Arthur Nelson et surtout Richard Flexmore, après avoir fait les délices du public pendant des années, après avoir été, selon l’expression d’un Anglais, les plus merveilleux joujoux qu’on puisse offrir à des enfans dans la saison des étrennes, ont été tout dernièrement, et quoique jeunes encore l’un et l’autre, se mêler à l’inévitable danse des morts[2]. En général les clowns ne vivent pas longtemps : le travail herculéen auquel ils se livrent sur la scène les vieillit avant l’âge et les expose à toute sorte de maladies. Les plus jeunes et les plus vigoureux tombent quelquefois épuisés dans la coulisse à la fin du spectacle. L’un d’eux me disait avec un sourire amer et en essuyant la sueur qui lui ruisselait du front : « "Vous voyez, nous travaillons dur pour amuser le public. » Je ne pus en effet me défendre de réflexions pénibles sur les souffrances de ceux qui font rire. Il y a deux mois à peine, au théâtre d’Yarmouth, le clown se rendit, après la représentation, dans le dressing-room (chambre de toilette) pour changer d’habits,

  1. Une actrice, Mme Céleste, a pourtant régénéré le personnage mimique d’Arlequin en lui donnant des grâces délicates ; mais cette tentative isolée et venant d’une étrangère ne prouve rien contre le principe.
  2. Richard Flexmore avait débuté dès l’âge de onze ans. Il était marié à une Française, la fille du célèbre clown Auriol.