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Les costumes ne seraient rien encore sans les décors. C’est le pinceau des artistes qui fait à Londres le grand succès des pantomimes. L’atelier de peinture se trouve généralement situé dans la partie la plus élevée du théâtre. C’est une longue chambre dans laquelle la lumière se joue avec profusion, grâce à une galerie en verre qui a été construite pour cet objet. La toile destinée à recevoir le dessin et la couleur est souvent d’une grandeur prodigieuse ; mais elle se laisse aisément manier au moyen de ressorts qui l’élèvent ou l’abaissent à volonté. Je ne décrirai point les procédés de cette sorte de peinture, qui est néanmoins fort intéressante à observer. Ce qui m’a surtout frappé est l’étonnante dextérité avec laquelle l’ouvrage avance pour ainsi dire à vue d’œil. Il est vrai qu’une bonne partie du travail se fait par des moyens mécaniques et qu’une armée de brosses envahit à la fois certaines parties de la toile. L’artiste qui préside à ces manœuvres dans les grands théâtres est le plus souvent un homme célèbre, Beverly, Telbin ou Grieve. Les costumes et les décors ont encore besoin d’un autre auxiliaire, qui est la charpenterie. Dans le carpenter’s shop, des ouvriers construisent à grand bruit de scies et de marteaux les cadres, les machines et les accessoires qui doivent donner le mouvement mécanique à la pantomime.

Presque en même temps on commence les répétitions. La salle et la scène présentent alors, durant la journée, un triste contraste avec ce qu’elles devront être à la grande fête de boxing night[1]. La salle est froide, morne, déserte, éclairée par en haut d’un jour blafard ; un tuyau de gaz brûle au-dessus de l’orchestre, et les loges, recouvertes d’un linceul de calicot, semblent hantées par les ombres en attendant les heureuses figures qui les animeront dans quelques mois. Le rideau se lève, mais la scène reste terne et désolée. Un ami et moi, nous formions ce que les Anglais appellent l’audience. Comme cet ami avait un intérêt dans la pantomime, je lui adressai certaines questions. « Quels sont, lui demandai-je, ces pauvres enfans en habits déguenillés, aux pieds couverts de boue, qu’on est en train de ranger sur les rochers de cristal ? — Ce sont, me répondit-il, les lutins et les gnomes de l’île fortunée. — Et ces jolies filles, assez mal vêtues pour la saison, qui soufflent là-bas dans leurs doigts ? — Ce sont des fées. — Et ce petit vieillard cassé qui cause d’un air morne avec le directeur, tout en savourant une prise de tabac ? — C’est le jeune, le gai, le fringant, l’inimitable clown. — Et cette danseuse en pantalon de tricot fané, en vieux souliers de satin blanc presque noirs, en chapeau de ville, qui vient d’essayer un pas et qui jette maintenant sur ses épaules un manteau brun ? — C’est Colombine. »

  1. Ainsi nommée parce que c’est le jour où les allumeurs de gaz, balayeurs des rues et autres serviteurs publics reçoivent leurs étrennes dans une sorte de boîte en fer-blanc, box.