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Comme le cadre se prête volontiers à toutes les divagations, on y passe en revue les ridicules du moment, quelquefois même les événemens politiques sur lesquels se porte l’attention des journaux[1]. À la fin de 1860, le traité de commerce avec la France a naturellement fourni quelques scènes de circonstance à plus d’un théâtre de Londres. L’invasion des bouteilles de vin animées, les craintes du gros Stout menacé dans son empire ténébreux, — c’est le cellier que je veux dire, — les patriotiques réflexions de Grog, qui, représentant la marine anglaise, déclare n’avoir rien à redouter de l’étranger, tout cela ne pouvait manquer d’être applaudi. Les larcins littéraires que nous avons signalés dans une première étude du théâtre anglais n’ont point échappé à la satire. L’esprit du plagiat apparaît avec un livre à la main sur lequel est écrit en grosses lettres original. Le fantôme de la littérature française se saisit du livre en s’écriant : « Vous m’excuserez, mais ce livre est à moi. » Miss Crinolina elle-même, quoique déjà un peu vieille, n’a point été oubliée non plus par la pantomime, qui, étant hors d’âge, se montre sans pitié pour les faiblesses de son sexe ; mais l’incident qui à le plus défrayé, en 1860, la critique des Christmas entertainments est celui des tables tournantes[2]. Après tout, ces attaques n’étaient-elles point des représailles ? Les esprits frappeurs, spirit-rappers, en mettant le monde à l’envers, en faisant danser les meubles, jouer les instrumens de musique sans le secours des doigts, tomber une pluie de fleurs sur la tête des assistans et flotter en l’air M. Home dans une chambre, ne portent-ils point à l’ancienne pantomime de très sérieux défis ? Le théâtre anglais, avait encore une autre raison de leur en vouloir. Non contens de troubler le monde inanimé, ces esprits ambitieux ont voulu enrôler dans leur troupe William Shakspeare. Des journaux spiritualistes ont publié très sérieusement des fragmens de drame en vers dictés ou plutôt frappés par je ne sais quelle table où s’était réfugiée l’âme du grand barde. J’ai lu ces fragmens, et en vérité je n’y ai pas reconnu l’auteur d’Hamlet ; ce ne serait point la peine de revenir « des régions inexplorées dont pas un voyageur ne revient, » si, après avoir été un grand poète pendant sa

  1. Sous ce dernier rapport, la pantomime anglaise se rapprocherait assez des revues de l’année telles qu’elles se jouent sur nos petits théâtres. Il y a pourtant des différences essentielles. Les Anglais nous reprochent de nous montrer timides dans l’absurde et dans le grotesque. Quand l’Anglais, lui, se mêle d’être extravagant, il l’est bien. Il ne recule devant aucune folie.
  2. Cette manie des spirit-manifestations a été remise à la mode, l’année dernière par un remarquable article publié dans le Cornhill Magazine et par les soirées de M. Home, auxquelles-se rendait toute l’aristocratie. J’ai assisté moi-même à l’une de ces séances privées ; mais comme c’était un dimanche, la table déclara être trop bonne sabbathérienne pour travailler ce jour-là.