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pas les légations de la Romagne, et ne sachant pas encore qu’on s’était décidé à les rendre au pape, il demandait s’il ne serait pas possible de les lui donner à lui-même, rappelant que l’empereur en avait eu un moment la pensée. Une semblable idée n’était plus qu’un rêve dans les conjonctures où l’on se trouvait et avec le mouvement qui emportait alors tous les esprits. Eugène finit par comprendre qu’il devait se résigner à ne pas prendre place parmi les souverains. Sa position fut enfin fixée, au mois de novembre 1815, par une déclaration des cabinets réunis à Paris. Au lieu d’une cession territoriale, on exigea en sa faveur du roi des Deux-Siciles, récemment rétabli dans ses états continentaux, une indemnité de 5 millions. Le pape lui restitua de très bonne grâce les propriétés que Napoléon lui avait données dans les Légations. Il vendit à l’Autriche ses biens meubles et immeubles de Lombardie. Le roi de Bavière lui conféra la principauté d’Eichstadt, dont le prix fut payé avec l’indemnité napolitaine, le créa duc de Leuchtenberg, et lui assura dans ses états un rang qui venait immédiatement après celui des princes de la maison royale.

Quelque inférieure que fût une pareille situation, non-seulement à celle qu’Eugène avait longtemps occupée, mais à ce qu’il lui avait été permis d’espérer encore quelques mois auparavant, il pouvait s’estimer heureux en comparant sa destinée à celle des autres membres de la famille de Napoléon, privés de tous leurs honneurs et placés, sous la stricte surveillance de la police européenne, dans des résidences dont il leur était interdit de s’éloigner. L’affection et la bonté de son beau-père lui assuraient à Munich une existence honorable ; mais il y était en quelque sorte relégué, et en réalité il lui eût été difficile de voyager hors de la Bavière. Depuis le 20 mars, tout ce qui avait tenu à Napoléon était pour le gouvernement français, pour les alliés et pour les opinions alors triomphantes, un objet de suspicion et de terreur. Vainement le prince, par l’extrême circonspection de sa conduite, s’efforçait, en ce qui le concernait, de calmer ces inquiétudes ; il ne pouvait empêcher qu’en France la pensée des mécontens ne se portât souvent sur lui, que son nom ne fût prononcé dans les conciliabules des conspirateurs, inscrit dans leurs proclamations, et le gouvernement français, qui le faisait surveiller de très près, se persuadait parfois qu’il n’était pas étranger à.ces complots dont les auteurs, pour inspirer confiance à ceux qu’ils voulaient entraîner, feignaient de compter sur son concours. Des actes d’humanité auxquels il n’aurait pu se refuser sans renier son passé, sans encourir à juste titre le reproche d’ingratitude et de cruauté, suffisaient d’ailleurs pour entretenir les soupçons des esprits prévenus. Comment eût-il pu s’abstenir de venir au secours d’anciens compagnons d’armes, maintenant proscrits et dénués de