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crainte d’exciter des soupçons en se montrant trop pressé de quitter Vienne après le 20 mars. Il avait même un moment craint qu’on ne s’opposât à son départ. Cela n’est guère d’accord avec ce qu’on lit dans quelques ouvrages historiques, qu’on le renvoya en Bavière parce qu’il avait tenté je ne sais quelle démarche en faveur de Napoléon. Tout ce que je viens de raconter exclut, à mon avis, la possibilité d’une pareille démarche de sa part. Cependant une lettre que l’empereur Alexandre lui écrivit quelque temps après, le 18 juillet, un mois après la bataille de Waterloo, pourrait faire supposer qu’Eugène, dans un sentiment qui, en tout cas, ne mériterait que des éloges, avait essayé, au moins indirectement, de détourner de son pays natal la formidable attaque qui le menaçait. Voici les passages les plus saillans de cette lettre, dont la bienveillance générale n’exclut pas un certain ton de reproche : «… J’espère que votre altesse me saura quelque gré maintenant des conseils que mon amitié pour elle m’a autorisé à lui donner à Vienne. Vous vous serez convaincu que mes calculs, loin d’avoir été exagérés, sont restés encore bien au-dessous de ce que les événemens ont prouvé, quand je vous soutenais que les forces que nous mettions en campagne étaient telles qu’il n’y avait pas de chances de revers pour nous à craindre, et qu’à la longue du moins la réussite était certaine… Une bataille rangée a suffi pour anéantir les moyens de résistance que Napoléon avait organisés, et dans dix-huit jours de campagne les alliés étaient à Paris. Voilà les bienfaits que la France doit au retour de Napoléon. Après l’avoir compromise et brouillée avec l’Europe entière, après avoir bouleversé son administration intérieure, après y avoir réveillé l’esprit de jacobinisme le plus exalté,… enfin après avoir trompé la France sur les moyens militaires de défense qu’il avait organisés,… il a adopté le plan d’opération le plus absurde,… et après avoir sacrifié l’armée dans une seule bataille, il a abdiqué une seconde fois, et, sauvant sa propre vie, il a abandonné la France à son malheureux sort… Tels sont ses hauts faits et tels sont les reproches que doivent s’adresser ses adhérens… Du reste, vous connaissez mes sentimens, mes principes, et persuadez-vous que partout où je pourrai être utile à la France,… j’y emploierai tous mes soins. » Dans cette dernière phrase, l’empereur répondait à une lettre par laquelle le prince Eugène avait fait appel à la magnanimité de sa politique généreuse et libérale pour préserver la France des maux d’une guerre étrangère et des malheurs plus terribles des discordes intérieures.

Avant la clôture du congrès, par conséquent avant la bataille de Waterloo, et lorsque l’empereur Alexandre était encore à Vienne, Eugène lui avait écrit une autre lettre qui prouve, de sa part, une étrange persistance à espérer. Apprenant que l’Autriche ne conserverait