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sa situation ne tarda pourtant pas à s’améliorer, au moins en apparence. L’empereur Alexandre continuait à le traiter avec une sorte d’ostentation de bienveillance et même d’affection. Il faisait presque chaque jour avec lui de longues promenades à pied. Ces démonstrations devaient nécessairement ramener au prince bien des gens qui s’étaient d’abord tenus éloignés de lui.

Eugène demandait deux choses au congrès : la levée du séquestre mis en Italie sur ses propriétés privées et la réalisation de la promesse qu’on lui avait faite d’une souveraineté. Aucun obstacle sérieux ne s’opposait à la levée du séquestre, qui n’eut lieu cependant qu’après bien des retards. La question de la souveraineté présentait de bien autres difficultés. Nous avons vu celle qui résultait de l’avide ambition des puissances, trouvant à peine à se satisfaire dans le partage des immenses débris de l’empire napoléonien. Une autre difficulté non moins grave, plus grave peut-être, c’était l’entraînement assez naturel des gouvernemens fondés sur le principe de la légitimité à ne rien laisser subsister du système qui avait naguère dominé la moitié de l’Europe, renversé bon nombre de dynasties séculaires, humilié et amoindri dans leur existence celles même qu’il ne renversait pas. Il semblait à bien des esprits qu’aussi longtemps qu’on n’aurait pas fait disparaître les derniers vestiges d’un tel bouleversement, les trônes relevés ne seraient point en sûreté. Déjà on pensait à enlever Napoléon de l’asile que lui avait assigné un traité solennel, et d’où, par son seul voisinage, il menaçait la France et l’Italie ; déjà on parlait de retirer à sa femme et à son fils le petit duché de Parme ; déjà même on agitait la question du détrônement de Murat, accusé de n’avoir pas exécuté de bonne foi les engagemens qu’il avait pris en se réunissant aux alliés. Le moment où l’on se préparait, dans l’intérêt de la légitimité, à supprimer, au mépris des traités les plus solennels, tout ce qui subsistait encore de l’ordre de choses naguère renversé, semblait peu favorable à la création d’une souveraineté qui se serait présentée aux esprits comme une relique de cet ordre de choses si odieux, d’autant plus que le traité de Fontainebleau n’en imposait pas l’obligation aux puissances, puisqu’il ne stipulait pour le prince Eugène qu’un établissement convenable.

Aussi, à l’exception de l’empereur de Russie, qui se considérait comme lié par ses promesses tant de fois répétées, et du roi Maximilien, dont le ministre même, tout occupé à soutenir les intérêts assez compromis de la Bavière, n’apportait pas une bien grande chaleur à la défense de ceux du prince Eugène, celui-ci ne trouva-t-il aucun appui réel dans le congrès, bien que tout le monde lin donnât de bonnes paroles. La France et l’Autriche étaient au fond