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la vice-reine de Milan. J’ai été profondément affligé de voir, par la forme de cet ordre, que votre majesté s’était méprise sur mes véritables intentions en supposant que j’eusse jamais eu celle de laisser la vice-reine dans des lieux qu’auraient occupés les ennemis de votre majesté, à moins d’un obstacle physique. Je croyais, par toute ma conduite, avoir mérité que votre majesté ne mît plus mes sentimens en doute. La santé de ma femme a été très mauvaise depuis trois mois. Je vais lui communiquer les intentions de votre majesté, et dès que sa santé le permettra, elles seront remplies… »

Une lettre de la vice-reine exprima plus vivement à Napoléon les mêmes sentimens :


« Je ne m’attendais pas, disait-elle, qu’après toutes les preuves d’attachement qu’Eugène ne cesse de vous donner, vous exigeriez qu’il risquât aussi la santé et même la vie de sa femme et de ses enfans, seul bien et consolation qu’il a dans ce monde. S’il ne parle pas dans cette occasion, c’est à moi de le faire. Sans doute je connais ses devoirs et les miens envers votre majesté… Nous n’y avons jamais manqué ; notre conduite est connue de tout le monde ; nous ne nous servons pas d’intrigues, et nous n’avons d’autre guide que l’honneur et la vertu. Il est triste de devoir dire que, pour récompense, nous n’avons été abreuvés que de chagrins et de mortifications… Malgré que nous n’ayons fait de mal à personne, nous avons des ennemis… qui cherchent à nous nuire dans l’esprit de votre majesté… Qu’ai-je fait pour mériter un ordre de départ aussi sec ? Quand je me suis mariée, je ne pensais pas que les choses en viendraient là. Le roi mon père, qui m’aime tendrement, m’avait proposé de me prendre chez lui afin que je pusse faire tranquillement mes couches ; mais je l’ai refusé, craignant que cette démarche jetât du louche sur la conduite d’Eugène, et je comptais aller en France. J’ai été malade depuis, et les médecins m’ont dit que je risquais beaucoup si je faisais un si grand voyage,. ! , et alors je me suis décidée à rester à Monza si Eugène était forcé de quitter l’Italie, croyant que votre majesté ne pourrait pas le trouver mauvais ; mais je vois que vous ne prenez plus aucun intérêt à ce qui peut m’arriver, ce qui m’afflige profondément. Malgré cela, j’obéirai à vos ordres, je quitterai Milan si les ennemis doivent y venir ; mais mon devoir, mon cœur, me font une loi de ne pas quitter mon mari, et puisque vous exigez que je risque ma santé, je veux au moins avoir la consolation de finir mes jours dans les bras de celui qui possède toute ma tendresse… »


Napoléon comprit peut-être ce qu’il y avait eu de dur et d’injuste dans ses procédés, mais il avait trop d’orgueil pour en convenir. Il répondit à la vice-reine que, connaissant la sensibilité de son cœur et la vivacité de son esprit, il n’était pas étonné de la manière dont elle avait été frappée, qu’il avait pensé qu’avec son caractère elle ferait de mauvaises couches dans un pays qui était le théâtre de la guerre, que c’était pour cela qu’il avait voulu la faire venir à Paris. « Reconnaissez donc votre injustice, disait-il en finissant,