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allait d’ailleurs informer l’empereur son maître de cette communication. L’empereur François s’était empressé d’écrire à la vice-reine pour lui faire connaître sa pleine approbation de l’assentiment donné par le maréchal à la proposition du prince et lui annoncer qu’il venait d’ordonner la formation d’une garde d’honneur destinée éventuellement à la protéger. La lettre du monarque autrichien était très courtoise. Il était facile d’en comprendre le but, et Eugène ne s’y méprit pas. Les alliés voulaient donner, du moins en apparence, un caractère politique à une démarche inspirée par de tout autres motifs. Peut-être espéraient-ils qu’elle pourrait ouvrir la voie à des négociations plus importantes ; peut-être aussi pensaient-ils qu’en lui donnant un certain retentissement, ils jetteraient entre Napoléon et le vice-roi des germes de méfiance. Il paraît qu’Eugène n’avait pas songé à informer l’empereur de la demande qu’il avait fait parvenir au général autrichien. Ce n’était très certainement qu’un oubli, assez étrange il est vrai, et qui prouve une fois de plus combien le prestige de la toute-puissance de Napoléon s’affaiblissait peu à peu, même dans l’esprit de ses serviteurs les plus fidèles. Bientôt le vice-roi et la princesse, se rendant compte de l’impression qu’il ne pouvait manquer d’en recevoir, avaient renoncé à leur projet, et elle s’était décidée, au risque de ce qui pourrait en arriver, à suivre son mari partout où le conduiraient les chances de la guerre.

Les choses en étaient là lorsque le vice-roi reçut de l’empereur un billet daté du 19 février, et qui contenait cet ordre péremptoire : « Il est nécessaire que la vice-reine se rende sans délai à Paris pour y faire ses couches, mon intention étant que, dans aucun cas, elle ne reste dans le pays occupé par l’ennemi ; faites-la donc partir sur-le-champ. » Évidemment de nouveaux soupçons avaient pénétré dans l’âme de Napoléon lorsqu’il avait appris, par quelque voie indirecte, ce qui se négociait entre le prince Eugène et les Autrichiens, et accoutumé à tout sacrifier aux combinaisons de sa politique, plus irrité peut-être qu’il ne jugeait à propos de le témoigner, il n’avait pas hésité à donner, dans la forme la plus sèche, un ordre dont la stricte exécution pouvait compromettre la vie de la princesse. Le vice-roi, cruellement blessé, pensa un moment à donner sa démission ; il s’en abstint pourtant, il se dit que, dans les circonstances où l’on se trouvait, elle pourrait être mal interprétée. En envoyant à sa femme la lettre de l’empereur, il lui recommanda de n’en parler à personne et de bien réfléchir au contenu. « Je suis navré, ajoutait-il, non de la chose, mais des expressions… Si ta santé te permet de partir, je désire que tu n’ailles pas à Paris ; je suis sûr que tu penses comme moi. Je préférerais donc une ville du midi de la France, comme Aix ou Valence. » Puis il écrivit à l’empereur : « J’ai reçu l’ordre de votre majesté concernant le départ de