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réfutée. Sans entrer dans les détails minutieux de la polémique qui s’est ouverte à ce sujet, je dois en exposer les incontestables résultats. Il n’est pas vrai, comme l’ont dit les adversaires du vice-roi, que dès le mois de décembre 1813 Napoléon lui eût donné l’ordre d’évacuer l’Italie. C’est seulement le 17 janvier suivant que l’empereur, ne pouvant plus douter de la prochaine défection de Murat, écrivit ce qui suit au prince Eugène : « Dès que vous en aurez la nouvelle officielle, il me semble important que vous gagniez les Alpes avec, toute votre armée. Le cas arrivant, vous laisseriez les Italiens pour la garnison de Mantoue et autres places. » Ces instructions, énoncées dans une telle forme par un homme dont le ton était d’ordinaire si impératif et si absolu, ressemblaient à un conseil plutôt qu’à un ordre ; mais ce qui est plus important à considérer, c’est que cet ordre ou ce conseil ne s’appliquait qu’à une hypothèse qui ne s’était pas encore réalisée en ce moment et qui ne devait même se réaliser qu’assez longtemps après, celle d’une rupture officielle de la part de Murat.

Eugène, ayant reçu le 24 janvier la lettre de l’empereur, lui répondit le lendemain qu’il agirait de manière à remplir ses intentions, mais que jusqu’à ce moment on n’était pas dans le cas qu’elles supposaient. Il ne dissimula point d’ailleurs que les mesures qu’il avait prises lui permettant de tenir tête au moins pendant quelque temps aux Napolitains si Murat venait à prendre l’offensive, son armée serait bien aise de trouver l’occasion de donner une leçon à ceux dont la conduite inspirait tant d’indignation et de mépris. « Dans le cas, ajouta-t-il, d’un mouvement rétrograde, j’exécuterai les ordres de votre majesté quant aux places fortes et aux garnisons à y laisser ; mais je ne lui cache pas que l’esprit est tel en Italie que beaucoup d’officiers, et surtout la troupe, se laissent séduire par le moyen que l’ennemi emploie en ce moment, l’indépendance de l’Italie. Il est fâcheux de dire, et pourtant il le faut, puisque c’est la vérité, que dès que l’armée de votre majesté aura quitté l’Italie, celle-ci sera perdue pour longtemps. Je n’envisage pas non plus sans effroi le mouvement rétrograde que je serai obligé de faire. Il est certain qu’y compris les sept mille conscrits que je viens de recevoir,… je n’ai pas douze mille hommes de l’ancienne France. Tous les hommes que j’ai reçus pour commencer la campagne étaient Toscans, Génois, Piémontais. Votre majesté doit s’attendre, même dans nos rangs, à une désertion considérable. »

Lorsque cette lettre arrivait à l’empereur, il était dans une position plus que difficile. Repoussé à Brienne par les immenses armées de la coalition, déjà réduit à craindre pour Paris, mécontent du maréchal Augereau, qu’il avait chargé de couvrir Lyon et qui ne lui semblait pas porter dans l’accomplissement de cette tâche l’activité