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l’armée autrichienne ne valait pas l’armée napolitaine, et que son infanterie surtout était absolument méprisable. De cette appréciation étrange, il tirait la conclusion que les Autrichiens ne pouvaient songer à passer l’Adige. L’empereur disait encore qu’il serait lui-même en mesure d’agir au mois de février, qu’il enverrait des détachemens au-delà des Alpes, et qu’en ce moment même il avait huit cent mille hommes en mouvement. Quelques jours après, il ne parlait plus que de six cent mille, mais il comptait porter l’armée d’Italie à cent mille combattans. N’oublions pas qu’à l’époque où Napoléon se livrait à ces exagérations monstrueuses, il était sur le point d’ouvrir cette immortelle campagne de France dans laquelle il ne put jamais, pour couvrir Paris, opposer plus de soixante mille hommes aux trois cent mille dont se composaient les deux principales armées coalisées.

Le vice-roi, instruit par l’expérience, n’ajoutait probablement qu’assez peu de foi à toutes ces assurances. C’était uniquement dans la prompte conclusion de la paix qu’il plaçait ses espérances de salut. Les propositions adressées de Francfort par les alliés à Napoléon et l’annonce de l’ouverture d’un congrès à Mannheim ranimèrent son optimisme un peu ébranlé. Le secrétaire d’état du royaume d’Italie, qui résidait à Paris auprès de l’empereur, lui rendit compte le 26 novembre d’une conversation dans laquelle Napoléon s’était exprimé ainsi qu’il suit : « Je vais enfin faire la paix, je dois renoncer au système continental, je céderai même à l’Autriche les états vénitiens ; mais en revanche l’Italie recevra le Piémont, et la France rentrera dans ses limites naturelles, le Rhin, les Alpes et les Pyrénées. Le royaume d’Italie sera alors déclaré indépendant. » Cela voulait dire évidemment que le prince Eugène prendrait la couronne, et c’est en effet ce que l’empereur proposa plus tard au congrès de Châtillon. Eugène, au comble de la joie, s’empressa de mander cette bonne nouvelle à la vice-reine. « Tu vois, lui disait-il, que tout est loin d’être perdu ; nous sommes à la porte du bonheur, puisqu’il est plus que permis d’espérer la paix. » Rien ne se terminait pourtant, et le vice-roi recommençait à s’alarmer. Sa correspondance porte de nombreuses traces de ces alternatives.

La politique de Murat se dessinait enfin : il s’avançait lentement vers le nord de la péninsule à travers les états de l’église et les provinces méridionales du royaume d’Italie, se donnant encore pour allié de la France et occupant à ce titre des territoires et des villes dont il comptait se faire bientôt un moyen et une base d’attaque contre les Français. Toute illusion sur ses projets était devenue impossible ; mais, comme on ne voulait pas lui fournir un prétexte de rupture, on évitait toute attitude hostile envers lui ; on se bornait à