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la ligne de séparation entre les deux armées ; mais ces bases ne furent pas acceptées.

La vice-reine, informée de ce qui se passait, écrivit à son mari une lettre touchante, dans laquelle, tout en laissant voir ce qu’il lui en coûtait de rompre avec sa famille, avec son pays, elle promettait d’oublier qu’elle était Bavaroise, l’encourageait à faire son devoir, et lui exprimait la ferme espérance que, quel que fut leur avenir, ils trouveraient encore ensemble le bonheur, fût-ce dans une chaumière. Elle écrivit aussi à son père pour prendre congé de lui, et, après lui avoir rappelé, par une allusion délicate, qu’il lui avait jadis demandé, comme une preuve de dévouement, d’épouser le vice-roi, « c’est pour mes enfans, lui dit-elle, que je réclame vos bontés ; ce sont les enfans de votre Auguste, que vous paraissiez aimer autrefois ; vous vous trouverez dans la situation de demander un sort pour eux… Voilà la dernière lettre que vous recevrez de moi… »

Eugène, toujours un peu enclin à l’optimisme, se flattait de l’espoir que la défection de la Bavière disposerait enfin l’empereur à la paix, et qu’une victoire dont il ne voulait pas douter la lui rendrait plus facile. Il apprit bientôt que la défaite de Leipzig avait rejeté Napoléon, avec les débris de son armée, dans les limites de l’ancienne France. La vice-reine écrivit alors à l’empereur une lettre où l’on retrouve toute la générosité de ses sentimens. « Je croirais, lui disait-elle, manquer à mon devoir, si dans cette circonstance je ne renouvelais à votre majesté l’assurance de mon tendre attachement. Croyez que rien au monde ne me fera oublier mon devoir, et que vous pouvez compter sur mon entier dévouement, comme sur celui d’Eugène. Il défendra le royaume jusqu’au dernier moment ; de mon côté, je tâcherai de ranimer les esprits faibles… »

Les alliés, étonnés de leur victoire, n’osant en comprendre toute la portée et hésitant encore à passer le Rhin, s’efforçaient de détacher de Napoléon ses derniers défenseurs. Déjà Murat était plus qu’ébranlé dans sa fidélité à l’alliance de la France. On voulut essayer de séduire aussi le vice-roi. Le roi de Bavière fut prié de faire auprès de lui les démarches nécessaires. Sans dissimuler à ceux qui lui donnaient cette commission le peu d’espérance qu’il fondait sur les chances d’une pareille tentative, il consentit à s’y prêter. Il chargea un de ses aides-de-camp, le prince de La Tour et Taxis, de se rendre, déguisé en parlementaire autrichien, auprès du prince Eugène, de lui remettre une lettre dans laquelle le roi lui transmettait les propositions de la coalition et d’en discuter avec lui le contenu. Ces propositions consistaient dans l’offre d’être reconnu roi d’Italie à la condition de séparer sa cause de celle de l’empereur. Eugène refusa. Aux instances de l’envoyé bavarois, qui alléguait les circonstances et l’intérêt politique, il opposa la sainteté du serment