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les premiers mois de l’année 1813 a toute l’extravagance d’un rêve. À peine échappé des déserts de la Russie, il pense à recommencer l’expédition insensée où il a failli périr. Il compte rentrer en campagne au mois de mai, et après avoir dégagé les places de Dantzig et de Thorn, bloquées en ce moment par les Russes, après avoir rétabli ainsi les communications, et mis, s’il le faut, garnison dans Kœnigsberg, peut-être renverra-t-il à une autre campagne les opérations ultérieures, mais peut-être aussi, vers le 15 août, passera-t-il le Niémen. C’est le moment le plus favorable, celui où la récolte est faite, où les fourrages sont mûrs, et deux mois et demi suffisent pour se porter sur Witepsk et le Borysthène, ou pour toute autre entreprise. Ainsi parle Napoléon à la fin de janvier 1813. Le 5 mars, il exprime encore la plus entière confiance d’être en état, au mois de mai, de rejeter les Russes au-delà du Niémen. Il veut croire l’armée russe réduite à un tel affaiblissement, qu’elle n’est plus en état de rien tenter. Il ne semble pas avoir la moindre inquiétude sur les intentions de l’Autriche et de la Prusse. À l’en croire, l’Autriche, en supposant même qu’elle n’intervienne pas dans la lutte comme partie principale en faveur de la France, élèvera à soixante mille hommes la force du contingent qu’elle a jusqu’alors opposé à l’ennemi ; elle paralysera ainsi un nombre égal de Russes, et, lorsque la campagne active sera ouverte, secondera les opérations de la grande armée française en s’emparant de la Volhynie. Quant à la Prusse, malgré la défection alors accomplie du général Yorck, malgré tant d’autres indices, Napoléon se tient tellement certain de sa persistance dans l’alliance onéreuse qu’il lui a imposée, il s’est tellement habitué à la traiter sans ménagement, qu’en ce moment même il veut disposer d’elle comme il aurait à peine pu le faire si le roi Frédéric-Guillaume eût été son vassal. Il ordonne au vice-roi, comme la chose du monde la plus simple, de réunir les troupes prussiennes aux troupes bavaroises sous le commandement du maréchal Gouvion Saint-Cyr ; puis, lorsque ces troupes commencent enfin à lui devenir suspectes, il recommande d’en empêcher le recrutement. De même qu’il atténue dans ses calculs les forces de l’ennemi, il exagère d’une manière vraiment fantastique les ressources dont le vice-roi peut disposer. Aussi lui reproche-t-il avec amertume de céder sans cesse du terrain, de n’avoir pas su défendre Posen, puis d’avoir évacué Berlin sans nécessité, et il lui enjoint de reprendre l’offensive pour occuper de nouveau cette capitale. Il l’accuse de céder à une terreur panique. Il trouve ridicule que le maréchal Davoust ait abandonné la défense de l’Elbe devant quelques partisans. Dans sa colère, il veut qu’on fusille un officier de la garde qui, se croyant hors d’état de défendre un poste qu’on lui a confié, s’en est retiré à l’approche des Russes.