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faveur, dans une partie de la population, des sympathies qui avaient fort irrité l’empereur, d’autant plus que des bruits inexacts les lui avaient d’abord présentées sous un aspect exagéré. Les ordres qu’il donna à ce sujet au vice-roi, s’il fallait les prendre à la lettre, seraient dignes des tyrans les plus sanguinaires. Il lui écrivait le 10 mai : « On dit que l’évêque d’Udine s’est mal comporté ; si cela est, il faut le faire fusiller. Il est temps enfin de faire un exemple de ces prêtres, et tout est permis au premier moment de la rentrée. Que cela soit fait vingt-quatre heures après la réception de ma lettre, c’est un exemple utile. » Dans une autre lettre du 28 mai, on lit ce qui suit : « Il y a des individus de Padoue qui se sont mal comportés ; rendez-m’en compte pour que j’en fasse un exemple éclatant… S’il y a quelque grande famille qui se soit mal comportée, je veux la détruire de fond en comble, père, frères, cousins, pour qu’elle serve d’exemple dans les annales de Padoue. »

Eugène était peu disposé à entrer dans ces voies de terreur. Il se garda bien pourtant de parler à son redoutable maître le langage de la clémence ; il lui promit dans sa réponse de traiter sans miséricorde les véritables coupables. Il affirma qu’il n’aurait pas attendu ses ordres par rapport à l’archevêque d’Udine, s’il eût été aussi coupable qu’on l’avait dit dans les premiers momens ; mais il expliqua que si ce prélat, cédant aux instances des Autrichiens, avait consenti à célébrer par un Te Deum leur entrée dans sa ville épiscopale, c’était uniquement de sa part un acte de faiblesse dont il l’avait sévèrement réprimandé. Il parla de lui comme d’un bon prêtre et d’un sujet fidèle ; il dit que dans ce qui venait de se passer il avait vu des hommes faibles et peureux, mais bien peu de traîtres, et aucun parmi les propriétaires et les hommes aisés ; il ajouta qu’il avait fait arrêter à Padoue, à Udine, à Venise, à Trévise, un certain nombre de personnes compromises, qu’il les ferait examiner avec attention, que les coupables seraient traités sans miséricorde, mais qu’il fallait se défier des dénonciations de beaucoup d’Italiens, qui, si on n’y prenait garde, exerceraient des vengeances personnelles en se donnant l’air de servir la chose publique.

Bientôt après le vice-roi, poursuivant l’archiduc Jean, pénétra en Hongrie, gagna sur lui, le 14 juin 1809, la bataille de Raab, et prit une part glorieuse à la victoire de Wagram, qui en juillet termina la guerre. Pendant toute cette campagne, et en général dans toutes celles où il a commandé, le prince Eugène mit un soin particulier à maintenir dans son armée une stricte discipline, et à préserver autant que possible des maux de la guerre les populations dont il occupait le territoire. Pour y parvenir, il ne reculait pas devant la nécessité de faire des exemples sévères. Le même esprit de justice le portait à soigner avec une vive sollicitude les intérêts des soldats, à