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sur la place du Vatican sans s’inquiéter si le saint-père y demeurait, de ne lui rendre aucun honneur. Il enjoignait de faire arrêter et d’envoyer en France tout gouverneur, tout agent qui se permettrait des publications en faveur du pape, de pendre le libraire qui les imprimerait, de recourir à la mitraille à la moindre apparence de soulèvement, de fusiller tout porteur ou distributeur d’une certaine cocarde adoptée comme signe de ralliement à la cause de l’église, fût-ce même un cardinal. Ces mots de mitraille, de fusillade, reviennent à chaque instant dans ces tristes dépêches. Il est vrai que, dans celle même où il donne l’ordre de fusiller les distributeurs de cocardes, il recommande un peu plus loin de les garder longtemps en prison. Quelque déplorables que fussent les actes, ils l’étaient heureusement beaucoup moins que les paroles, expression d’une fureur qui semblait par momens toucher à la démence.

Cette fureur se manifestait aussi tantôt par le mépris et le dédain affectés, tantôt par la violence injurieuse avec lesquels Napoléon parlait du pape, de ses conseillers et de ses adhérens. Un jour il écrivait qu’il ne voulait pas s’engager dans des tracasseries avec de pareils nigauds, qu’il désespérait de faire entendre raison à des hommes ineptes, disait-il, au-delà de tout ce qu’on pouvait imaginer, qu’il n’y avait rien de bête comme ces gens-là, qu’il était impossible de perdre plus bêtement la puissance temporelle, formée par le génie et la politique de tant de papes, et il ajoutait, en forme de réflexions philosophiques : « Quel triste effet produit le placement d’un sot sur le trône ! » Dans d’autres momens, il s’emportait contre la perfidie des cardinaux qui entouraient le saint-père ; il ne voyait dans la cour de Rome que de méchantes gens. Pie VII lui-même était un méchant homme. La colère de l’empereur ne connut surtout plus de bornes lorsque, tenant déjà le pape prisonnier loin de Rome, il s’aperçut qu’il ne pouvait l’empêcher d’exercer encore sur les fidèles une action qui entravait les projets du tout-puissant despote. Comme Pie VII faisait défendre aux évêques nommés, mais non institués, de prendre l’administration de leurs diocèses, « cet homme, écrivit l’empereur en apprenant cette défense, distille partout le poison et la discorde. » Ailleurs, parlant de certains papiers saisis par la police : « Il en résulte, dit-il, que le pape à la plus horrible conduite joint la plus grande hypocrisie. »

Forcé, par sa qualité de principal lieutenant de l’empereur en Italie, de tenir la main à l’exécution de plusieurs des mesures que je viens d’indiquer, le vice-roi n’était pas en position de faire entendre à Napoléon des représentations qui n’auraient servi qu’à l’irriter davantage ; mais on entrevoit dans sa correspondance, à travers d’excessifs ménagemens, que, si cela eût dépendu de lui, on