Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/783

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Bavière eut de grands efforts à faire pour la décider à y renoncer, et qu’il dut, pour obtenir ce sacrifice, recourir aux instances les plus suppliantes. On y voit aussi qu’en se résignant à ce qu’on lui demandait, la princesse voulut d’abord y mettre quelques conditions, par exemple celle que son futur époux serait immédiatement déclare roi d’Italie. Napoléon, de son côté, avait tout arrangé sans consulter Eugène. Il est vrai que, de sa part, l’hésitation ne paraissait guère possible. La princesse Auguste n’était pas seulement, au point de vue de la politique, un parti des plus brillans et qui aurait pu satisfaire à l’ambition la plus exigeante ; sa beauté, les grâces de sa personne, l’élévation de son âme, une grande douceur mêlée d’une extrême sensibilité et dans l’occasion d’une dignité fière, faisaient d’elle une des femmes les plus accomplies de son temps. Elle ne tarda point à éprouver, pour l’époux qu’on lui avait donné un peu malgré elle, une tendresse dévouée qui ne devait jamais se démentir.

Napoléon avait pour son fils adoptif toute l’affection, toute la confiance dont son cœur était capable. Ce jeune homme courageux, modeste, sensé, plein du sentiment du devoir, qu’il avait formé depuis son enfance, qui lui devait tout, qui ne pouvait, comme tel de ses lieutenans, se faire l’illusion d’avoir en France une importance personnelle indépendante de celle qu’il voulait lui donner, désarmait en quelque sorte ses soupçons, si faciles à éveiller. Cette disposition, si peu habituelle en lui, adoucissait parfois sa nature. À l’époque du mariage d’Eugène, qui flattait évidemment l’orgueil et l’ambition de l’empereur, sa correspondance avec le vice-roi, les lettres surtout qu’il écrivait de loin en loin à la jeune vice-reine, ont un caractère de paternité attentive, presque délicate et même naïve. Il s’occupe beaucoup de sa belle-fille adoptive, de sa santé, de ses goûts, des moyens de rendre son existence agréable. Il lui envoie une bibliothèque choisie avec soin, il lui conseille la lecture. Lorsqu’elle devient grosse, il lui recommande de boire tous les jours un peu de vin pur, affirmant que c’est un moyen certain de ne pas avoir une fille. Plus tard, voulant la consoler d’une courte absence du vice-roi, il lui promet son prompt retour, et il ajoute cette réflexion sentimentale : « On ne sent bien que l’on aime que lorsqu’on se revoit ou que l’on est absent ; on n’apprécie la santé que lorsqu’on a un peu de migraine ou lorsqu’elle nous quitte. » Il reproche à plusieurs reprises à Eugène de trop travailler, de mener une vie trop monotone. « Cela est bon pour vous, lui dit-il, parce que le travail doit être pour vous un objet de délassement ; mais vous avez une jeune femme qui est grosse,… vous devez vous arranger pour passer la soirée avec elle et vous faire une petite société. Que n’allez-vous au théâtre une fois par semaine ?… Je pense