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les premiers ; vous n’avez pas encore pu faire pour les Italiens ce qui pourrait vous valoir les autres. Il eût été préférable que les journaux n’eussent pas rapporté les adresses qui vous ont été faites.

« L’empereur se plaint aussi de ce que vous lui faites des réflexions sur des mesures qu’il prend et qu’il a bien réfléchies.

« Les Italiens sont intrigans et rusés, il faut vous en défier. »


Jamais, je crois, l’infatuation du pouvoir absolu, l’orgueil de la plus égoïste personnalité, la passion de tout ramener à soi, ne se sont révélés avec autant d’abandon et on peut dire de cynisme. Peu de jours après, Napoléon, répétant directement au vice-roi les avis qu’il lui avait fait donner par Duroc, lui écrivait, entre autres choses : « Si vous tenez à mon estime et à mon amitié, vous ne devez sous aucun prétexte, la lave menaçât-elle de tomber sur Milan, rien faire de ce qui est hors de votre autorité. » Il est facile de comprendre l’impression que de semblables réprimandes, bien que tempérées par quelques paroles affectueuses, produisirent sur l’esprit du prince Eugène. Il tomba pour quelque temps dans une telle défiance de lui-même qu’il n’osait plus rien prendre sur lui, et bientôt Napoléon fut obligé de l’avertir qu’une certaine mesure pour laquelle il demandait un décret du souverain était un acte de pure administration locale.

La guerre était sur le point de recommencer entre la France et l’Autriche, et le royaume d’Italie était menacé d’une invasion des Autrichiens, qui à cette époque possédaient encore la Vénétie. Le maréchal Jourdan avait jusqu’alors commandé l’armée française qui occupait la Lombardie ; Napoléon, qui ne lui croyait pas assez de vigueur et de persistance dans le caractère, lui donna pour successeur, à la veille des hostilités, le maréchal Masséna. Le vice-roi, âgé seulement de vingt-quatre ans et qui n’avait paru sur les champs de bataille que comme officier subalterne, ne pouvait évidemment être appelé au commandement suprême en présence d’un ennemi formidable, alors que les Autrichiens avaient pour chef l’illustre archiduc Charles, dont la réputation était dans tout son éclat. Napoléon le sentait si bien, qu’au grand regret d’Eugène et malgré ses instances réitérées, il ne lui permit pas de faire cette campagne, comprenant l’impossibilité de lui donner le commandement en chef et ne voulant pas apparemment, dans la position élevée où il l’avait mis, lui donner un commandement secondaire.

Le vice-roi se vit donc condamné, pendant qu’on se battait si près de lui, à borner son activité aux détails de l’administration intérieure de l’Italie et au soin de préparer à ses défenseurs des renforts et des approvisionnemens. Il eut aussi à protéger les populations contre les exactions de certains généraux et agens français qui