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plus qu’une sorte de mugissement sourd qui ressemblait à la chute d’une cascade très lointaine : c’étaient les flammes qui se battaient contre le vent.

À Santa-Maria, que nous traversâmes, des paquets sombres gisaient dans tous les coins ; c’étaient nos soldats épuisés qui dormaient au hasard. Après Santa-Maria, la route, coupée de barricades, incessamment parcourue par des patrouilles de gardes nationaux et de paysans armés, devint insupportable ; des qui-vive nous arrêtaient de quart d’heure en quart d’heure ; à chaque village, on venait me demander des nouvelles et m’offrir de me « régaler ; » j’envoyai tous ces braves gens au diable avec la plus grande politesse possible, et tant bien que mal j’arrivai à Aversa, où il me fallut absolument accepter une tasse de café et des cigares. Je ne pensai guère à m’informer des ruines d’Atella, de l’origine des atellanes, ni de l’assassinat d’André par la reine Jeanne ; mais je demandai une voiture quelconque en remplacement de ma charrette, qui, allant au pas, menaçait de ne jamais arriver à Naples, et qui, trottant, me disloquait par ses cahots. Les officiers de la garde nationale, qui tout entière veillait, y mirent une complaisance extrême, et l’on ne tarda pas à m’amener un corricolo. — Une douce fraîcheur planait autour de nous ; sur le ciel nacré par les reflets de la lune, les pins-parasols découpaient la large silhouette de leur tête arrondie ; les festons de la vigne semblaient en acier bruni ciselé à jour ; ce calme d’une nuit charmante mêlé au souvenir de l’action de la journée me donnait un bien-être profond qui me pénétrait jusqu’à l’âme. Comme j’entrais à Naples vers deux heures du matin, deux postes de gardes civiques se jetèrent littéralement sur moi avec cent questions entrecroisées, auxquelles il me fallut répondre, car elles étaient justifiées par l’inquiétude qui depuis le matin régnait dans la ville.

Ce n’était pas dans le coin étroit de Sant’Angelo, où j’avais été pour ainsi dire parqué pendant toute la journée du 1er octobre, que je pouvais me rendre compte de la bataille ; je ne la compris réellement qu’après avoir tenu en main les rapports des principaux chefs de corps et consulté les différens acteurs du drame. L’idée des généraux napolitains apparaît très nettement : ils voulaient couper nos lignes, passer entre elles, reprendre Naples et y célébrer la Saint-François, qui se fête le 4 octobre. Pour arriver à ce résultat, ils avaient, en grand silence et avec une rare habileté, établi au milieu de la nuit une forte colonne entre Santa-Maria et Sant’Angelo, et au point du jour attaqué vigoureusement ces deux positions ; de plus, à l’aide d’un corps de cinq mille hommes qui, parti de Cajazzo, avait traversé le Vulturne à la scafa du Torello, ils étaient venus, en suivant la route de Ducenta, attaquer Maddaloni pour en débusquer