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rapporte est sans aucun doute une des plus intéressantes. Les instructions que Napoléon envoyait à son lieutenant suivant l’inspiration des circonstances constituent un véritable code de despotisme, tantôt raffiné, tantôt brutal, et parfois de machiavélisme. C’est ainsi qu’il lui recommandait de laisser à la presse une légère apparence de liberté, afin de pouvoir faire publier contre les puissances étrangères des articles dont on eût le droit de décliner la responsabilité devant les ambassadeurs.

Eugène cependant avait pris au sérieux l’autorité dont on lui avait conféré le titre. Placé en présence d’un corps législatif qui ne se montrait pas disposé à accepter aveuglément toutes les propositions du gouvernement, il avait cru pouvoir prendre de lui-même et sans consulter l’empereur les mesures propres à surmonter cette opposition. Il avait fait appeler un député appelé Salembrini, qui s’était permis de dire dans une conversation : « Nous ferons voir à ces chiens de Français que nous sommes des Italiens, » et il lui avait adressé une sévère réprimande. Après avoir essayé sans succès de satisfaire et de ramener l’assemblée en modifiant de son propre mouvement un projet de loi présenté au nom de l’empereur et roi, Eugène avait dissous cette chambre récalcitrante. À la manière dont il rendit compte à l’empereur de ces diverses mesures, on voit très bien qu’il s’attendait à recevoir des éloges sur sa fermeté ; mais cette attente fut cruellement déçue. Napoléon trouva, non sans quelque raison, que le langage qu’il avait tenu à Salembrini manquait d’élévation et de dignité, et crut apparemment faire preuve de l’une et de l’autre en déclarant que, si ce malencontreux député continuait à tenir de mauvais propos, il le ferait fusiller ; en attendant, il destitua son frère, général dans l’armée italienne. Quant à l’initiative par laquelle le vice-roi s’était permis de modifier un projet de loi et de dissoudre le corps législatif, Napoléon n’y vit rien moins qu’une usurpation de pouvoir, un empiétement sur sa propre autorité, et il s’en montra vivement blessé. Déjà d’ailleurs il avait pris la résolution de clore la session, et il en avait transmis l’ordre à Eugène par une dépêche dont il faut citer les termes, parce que l’orgueil du despotisme s’est rarement étalé avec une telle naïveté :


« J’ordonne, y disait-il, que le corps législatif termine ses séances ; mon intention, pendant que je régnerai en Italie, est de ne plus le réunir. J’avais trop bonne opinion des Italiens ; je vois qu’il y a encore beaucoup de brouillons et de mauvais sujets… Ce n’est pas l’autorité du corps législatif que je voulais, c’est son opinion ; vous ne lui ferez pas de message, vous ne lui rendrez aucun honneur ; vous ferez cependant connaître mon mécontentement… Ne leur laissez pas oublier que je suis le maître de faire ce que je veux ; cela est nécessaire pour tous les peuples, et surtout pour les Italiens, qui n’obéissent