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dormir sans sa pâleur et le refroidissement glacial qui avait saisi ses membres ; la tête ne touchait pas au bras, la main ne s’appliquait pas à la poitrine, et tout cela tremblait d’une seule pièce à chaque mouvement du chariot. La bouche fermée et pincée montrait une colère terrible que la main adoucissante de la mort n’avait point effacée. Le pauvre petit avait été frappé, et, se sentant près de sa fin, il s’était probablement traîné sous un arbre et s’était couché, dans la position où il s’endormait chaque soir, pour finir le rêve fatigant de l’existence. La bataille était finie, nous nous sentions gagner par l’émotion à la vue de cette forte fleur brisée avant les fruits ; d’un air morne et silencieux, ses compagnons survivans le regardaient : « Je le confie à votre garde, leur dit Spangaro ; c’était un des nôtres, un de nos amis, un de nos enfans ; nous lui rendrons les honneurs funèbres, nous pleurerons sur lui, et cependant son sort est enviable, puisqu’il est mort pour le salut de l’Italie. » Puis, s’interrompant : « Où sont les autres ? » demanda-t-il ; on lui montra du doigt une large caverne ouverte dans la colline. Rangés le long des parois, ils étaient là, ceux que la déesse des victoires avait acceptés en sacrifice ; un prêtre disait des prières, et des sentinelles veillaient pour que nul ne vînt troubler leur sommeil éternel.

J’allai voir Garibaldi, qui s’était réfugié dans la petite chambre du curé de Sant’Angelo, où il cherchait à se reposer un peu ; assis sur un banc de bois, appuyant son dos à la muraille, il écoutait Eber et Missori, qui expliquaient un mouvement exécuté le matin par nos troupes. Une joie sérieuse brillait sur son visage, illuminait ses yeux, et donnait à son sourire une douceur pleine de force. Je dus me rendre à Naples sans délai ; mais comment faire la route ? Le dernier train du chemin de fer de Santa-Maria partait à sept heures, et sept heures sonnaient au campanile de Sant’Angelo ; de voiture, il n’y en avait pas vestige à notre village ; quant à nos chevaux, il n’y fallait pas penser : les pauvres bêtes, à demi fourbues de fatigue, blessées pour la plupart, n’auraient quitté la litière que pour tomber vingt pas plus loin. J’allais me décider à partir à pied pour Santa-Maria, où j’aurais cherché un moyen quelconque de gagner Naples, lorsqu’arriva une grande charrette à deux roues, sorte de baquet attelé de trois chevaux de front, et qui apportait la provision de pain pour nos troupes. Je mis le conducteur en réquisition ; on jeta sur les planches du chariot deux ou trois bottes de paille, je m’y étendis, et nous partîmes. Quelques cadavres, des chevaux morts çà et là tachaient de noir notre route, où les incendies jetaient de grandes lueurs ; le charretier chantait un petit air assez gai qui se terminait par un coup de sifflet et se mariait allègrement au bruit régulier. des grelots de l’attelage. Lorsque les chevaux s’arrêtaient, on n’entendait