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REVUE. — CHRONIQUE.

l’avait voulu de la sorte, le Danemark obéissait à la contrainte, et, se plaçant sur le terrain légal, comptait encore assez sur sa propre vitalité et sur la justice de sa cause pour ne pas désespérer de pouvoir se défendre et se faire respecter. Ce n’était pas le compte de l’Allemagne. Les Holsteinois déclarèrent qu’ils ne se contentaient pas, pour le Lauenbourg et pour eux-mêmes, d’un nombre de députés proportionné à leur population ; on leur demanda en 1857 de préciser les réformes qu’ils souhaitaient dans l’édifice de la constitution commune : ils ne répondirent que par de nouvelles récriminations. On consentit en 1858 à suspendre pour eux et le Lauenbourg cette constitution commune, et on les pressa de nouveau en 1859 de dire nettement comment ils la voulaient édifier, eux qui, avec l’Allemagne, l’avaient imposée à la monarchie danoise. Ils déclarèrent alors qu’il ne pouvait être question d’une représentation commune de la monarchie capable de les satisfaire, et ils rédigèrent un projet par lequel ils demandaient que chacune des quatre assemblées particulières du Holstein, du royaume proprement dit, du Slesvig et du Lauenbourg pût exercer son veto sur l’œuvre de la législation commune et sur l’examen du budget commun. Ils continuaient en même temps à insister sur le principe du heelstat, afin que le Lauenbourg et le Holstein vissent toujours consacrés leurs droits particuliers, tout au moins égaux à ceux des provinces vraiment danoises, dans l’intégrité de la monarchie. C’était l’anarchie organisée. Aujourd’hui, en 1861, les états holsteinois font un pas de plus : de l’anarchie réclamée, ils passent à la révolte, puisque, rejetant désormais et le projet d’une représentation commune et le système d’un état unitaire, ils déclarent que la seule condition capable de les satisfaire et d’assurer au Danemark un peu de sécurité du côté de l’Allemagne est le rétablissement et le développement constitutionnel d’un état de Slesvig-Holstein. Voilà le grand mot lâché ; voilà l’intention jusque-là secrète ! On a d’abord imposé au Danemark une légalité boiteuse et perfide ; il a accepté avec bonne foi et avec courage la lutte, même dans les entraves : alors on a refusé de reconnaître ce qui lui restait de droits, et on en est arrivé enfin à jeter ce cri de révolte qui a soulevé, il y a dix ans, une longue et sanglante guerre, qui a été châtié sur les champs de bataille de Fredericia et d’Idsted par les Danois victorieux, et que la diplomatie européenne, si partiale ou si inattentive qu’elle se soit montrée, a cependant formellement condamné. À toute force, il faut que l’Allemagne invente une autre manière d’absorber le Danemark. Ce moyen-ci d’attirer à soi le Slesvig, et par conséquent de mutiler et d’anéantir toute la monarchie par le rétablissement des relations que jadis la féodalité avait constituées entre les deux duchés, ce moyen est dorénavant usé ; il pourra bien susciter des désordres et de malheureuses agitations qu’on exploitera, mais heureusement il mettra à découvert des intrigues toujours les mêmes, faciles à reconnaître et dix fois condamnées. L’Europe a déclaré que le Slesvig est pays exclusivement danois, qu’il n’a rien à faire avec l’Allemagne ni avec le Holstein ; elle ne se départira pas de ce principe de droit politique.

Les états holsteinois rejettent le projet de règlement provisoire que leur présente le gouvernement danois, parce qu’ils le trouvent, disent-ils, trop compliqué, inexécutable, et fait pour réduire le Holstein au rang de colo-