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sérable et ennuyeuse querelle de l’héritage de Clèves, Berg et Juliers a enfanté la guerre de trente ans. En deux mots, qui montrent tout l’abîme, les Danois se demandent si, en présence d’un envahissement de la Prusse, cette puissance offrirait et ferait agréer une compensation notable à quelque puissant voisin, et l’on recherche par la pensée après eux quelles pourraient être les conditions d’un tel changement de l’équilibre général jusqu’à ce qu’il fût entièrement consacré. La Prusse deviendrait-elle, au nom de l’Allemagne, puissance maritime ? Parviendrait-elle à s’emparer de la clé de la Baltique, et serait-ce au prix de ses positions sur le Rhin ? Qu’en dirait la Russie ? qu’en dirait l’Angleterre ? Qu’en pense la France elle-même ?

L’objet de la querelle se réduit en définitive à un seul point : la constitution commune. En vertu des traités de 1851-52 et comme conséquence des complications infinies qu’avait amenées le moyen âge, la diplomatie européenne, la diplomatie allemande surtout (car l’Autriche et la Prusse ont pesé dans ces négociations de tout leur poids, tandis que l’Angleterre et la France y ont prêté une attention distraite et que la Russie y a porté des préoccupations particulières), a constitué la monarchie danoise en plusieurs parties ayant chacune sa constitution propre et reliées ensemble par une constitution commune. Seulement une de ces parties, le Holstein, dépend en même temps du roi de Danemark, qui en est duc, et de la confédération germanique. S’il n’existait aucune communauté d’institutions politiques entre cette province et les autres et qu’elle ne tînt au reste de la monarchie que par le lien personnel d’un même souverain avec des titres différens, avec celui de roi au nord de l’Eyder, avec celui de duc de l’Eyder à l’Elbe, il n’y aurait aucune difficulté ; mais, la constitution commune établissant une solidarité entre les différentes provinces de la monarchie, y compris le Holstein, il s’ensuit que l’Allemagne, qui tient le Holstein, tient par là dans sa main un anneau de la chaîne qui enveloppe tout le Danemark. Par ce seul anneau, elle compte attirer tout le reste à elle, et voici comment : cette chaîne rend solidaires l’une de l’autre et malgré elles deux nationalités en ce moment ennemies, l’allemande et la Scandinave ; mais c’est précisément un coup de maître que ce rapprochement forcé : la chaîne est électrique, et l’Allemagne entend bien qu’en touchant un point, en pressant une fibre, elle fera tressaillir et obéir le corps tout entier. Autrement dit, — ce sont les termes de son ultimatum du 7 février dernier, — elle exige absolument que les états provinciaux du Holstein soient consultés et obtiennent voix résolutive quant aux lois concernant les affaires communes de la monarchie, particulièrement quant aux lois financières et aux budgets, — Énoncer une prétention si monstrueuse, c’est assurément la réfuter à l’avance. Quoi ! voici le Danemark menacé par l’Allemagne ; il veut s’armer, le gouvernement propose des mesures de finance extraordinaires, et, parce que le Holstein allemand fait partie de la monarchie unie par une constitution commune, ce Holstein aura le droit d’opposer un veto contre les mesures de défense que veut prendre la monarchie ! Le lecteur se refuse à croire à une telle absurdité. Il dit que, si la passion de l’Allemagne lui a dicté de pareils excès, la diplomatie est là pour les condamner et lui imposer silence. Qu’il prenne garde cependant que déjà la moitié du mal est accomplie : la constitution com-