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français sera le signal de sa retraite. Nous espérons que M. Frère-Orban ne tardera point à rentrer dans le cabinet. Sa retraite est une satisfaction qu’il donne au sentiment de sa dignité personnelle. La législature belge et le pays, quoiqu’il n’ait pas pu les convertir à l’orthodoxie dans la question de l’étalon monétaire, désirent le voir revenir aux affaires le plus tôt possible. Ils n’ont point tort, car, bien que placé sur une scène restreinte, M. Frère-Orban compte parmi les hommes politiques les plus capables de l’Europe, parmi ceux qui comprennent le mieux les aspirations, les ressources et les procédés de l’esprit moderne.


E. FORCADE.


AFFAIRES DU DANEMARK.


La question danoise subit un temps d’arrêt et languit, mais on peut se demander si, en languissant, elle ne s’envenimera pas chaque jour davantage[1] ; elle peut s’envenimer des dangers, imaginaires ou réels, que l’Allemagne croit toujours voir d’un certain côté suspendus sur sa tête, et qui lui font saisir ses armes avec une passion aveugle et un besoin de frapper quelque part autour d’elle, — non sans discernement, pour s’adresser quant à présent au plus faible ; elle peut s’envenimer aussi de l’anxiété du pays attaqué, de la double nécessité où il se trouve d’appeler à lui ses alliés naturels et les grandes puissances, peut-être divisées et jalouses, et d’invoquer, de susciter peut-être à tout prix une solution. Pendant qu’au-delà du Rhin elle complique et augmente une exaltation déjà malsaine par elle-même, elle commence à inquiéter en France et en Angleterre tous les esprits sérieux qui en aperçoivent les conséquences possibles. En Angleterre, elle fait rapidement son chemin dans les préoccupations de l’opinion publique : le parlement et des meetings la discutent, avec grande faveur pour le peuple danois. En France, nous ne sommes pas aussi avancés ; nos ministres sans portefeuille ne sentent pas la nécessité de se tenir prêts à expliquer la conduite du gouvernement de l’empereur dans le conflit dano-allemand, et nulle réunion populaire ne tente de se former chez nous pour discuter les espérances du slesvig-holsteinisme. Même plus d’un organe important de la presse quotidienne continue de reculer devant l’examen d’une question qui lui paraît fastidieuse et obscure. Nous l’avons dit déjà ici même, cette obscurité, due aux Allemands, qui n’avouent pas toutes leurs prétentions, est, si l’on refuse d’ouvrir les yeux, de regarder et de voir, un péril par elle-même. Au contraire, agitée et discutée, la question des duchés, comme toute autre, montrera ses périls, qu’il faut connaître si l’on veut tenter de les prévenir. Quand la France parfois s’ennuie, quelque malheur, nous le savons, est tout près et viendra bientôt la surprendre ; de même, en un certain état de l’atmosphère politique, tel nuage importun et obscur qu’on néglige à l’horizon recèle le coup de foudre qui allumera l’incendie : la mi-

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1861.