Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/757

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Heureux le prince qui, en de telles circonstances, peut, dans les royaumes de la littérature, conquérir des provinces qu’il ne saurait plus perdre, et prendre un trône qui pourra défier le sort des dynasties ! » Qu’y a-t-il là ? Un hommage sincère et mérité rendu à des qualités personnelles, mais rien assurément qui interdise à M. Disraeli de cultiver l’entente cordiale, s’il revient au pouvoir, rien qui pût même l’empêcher d’être ambassadeur à Paris. M. Thackeray a terminé la soirée par un toast à la littérature française ; ce grand romancier, qui parle notre langue aussi bien qu’un Parisien et qui aime tant le séjour de la France, a reconnu ce qu’il doit à notre littérature, qu’il appelle « la plus brillante, la plus spirituelle et la plus sage des littératures du monde. » Il a exprimé un espoir, c’est « qu’un jour la littérature française jouirait d’une liberté entière, semblable à celle que la littérature anglaise possède. » Convenez que nous aurions l’esprit mal fait, si nous prenions ces complimens en mauvaise part, et qu’il ne faut pas avoir lu ce dont on parle pour attribuer à une telle réunion une signification hostile à la France.

Pour nous, qui avons à cœur de ne point porter d’injustes préventions dans l’appréciation des actes du pouvoir, et qui aimons mieux avoir à louer qu’à blâmer, après avoir dit notre opinion sur la circulaire de M. de Persigny, nous n’hésitons point à féliciter le gouvernement du projet qui amende la loi sur la presse. On vous donne peu de chose, nous dira-t-on, et l’on aura raison, si l’on se place au large point de vue des droits de la liberté politique. Ce peu de chose est beaucoup pourtant, si l’on considère d’où nous partons. Les journaux étaient supprimés de plein droit après deux condamnations pour délits ou contraventions ; après une seule condamnation même, le gouvernement pouvait supprimer ou suspendre un journal. Cette terrible menace, qui a pesé jusqu’à présent sur la propriété des journaux, va enfin disparaître. Les avertissemens administratifs et la suppression par décret subsistent à la vérité dans la loi ; cependant ici encore le projet présenté au corps législatif apporte quelque adoucissement. Il y a péremption pour un avertissement au bout de deux ans. Quelque minime que soit le progrès, c’est toujours un progrès, et nous le saluons à ce titre. Le véritable, le vital intérêt pour la liberté de la presse, c’est l’abolition du système de privilège et d’autorisation préalable à laquelle est soumise la fondation des journaux nouveaux. Que chaque citoyen, en satisfaisant aux conditions spéciales posées par la loi, n’ait point le droit de fonder un journal, voilà l’obstacle qui se dresse entre la condition actuelle de la presse et le régime de la liberté. Cet état de choses donne lieu à de curieux incidens. Un privilège de journal avait été récemment accordé à deux personnes, l’une acceptée par l’administration comme gérant, l’autre comme rédacteur en chef. Le journal projeté devait avoir pour titre : la France libérale. D’après ce que nous savions des tendances politiques générales que le journal nouveau devait représenter dans la presse, nous en considérions, quant à