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la jolie petite ville du Passage, qui vient se refléter dans les eaux au milieu d’un fond de verdure. Que le gouvernement veuille ouvrir la passe de la baie, aujourd’hui un peu encombrée, et il verra bientôt s’élever une ville fréquentée par le commerce et par les touristes, qui viendront y chercher des plaisirs et des spectacles que bien peu de plages peuvent offrir. Voilà la véritable rivale de Saint-Sébastien bien plutôt que Bayonne, et la province de Guipuzcoa se verra pendant l’été le rendez-vous de tous les voyageurs de l’Europe. Si cette offre de la compagnie navarraise est repoussée, elle paraît décidée à se renfermer strictement dans les limites primitives de sa concession, en se bornant à se relier au chemin de fer du nord à Alsasua.

Rien n’est plus propre que les luttes qu’on vient de raconter à faire connaître les difficultés sans nombre qu’ont eu à traverser ce que l’on est convenu d’appeler aujourd’hui les chemins espagnols. Désormais sans doute ces affaires, mieux connues, mieux étudiées, ayant plus de crédit, auront une marche plus régulière et plus ferme. On ne saurait plus d’ailleurs être arrêté par cette question vulgaire qui s’est élevée quelquefois : les chemins de fer espagnols ont-ils une valeur réelle ? Les faits parlent d’eux-mêmes et détruisent un doute qui a été souvent un obstacle. Nous ne sommes plus à l’époque où la Péninsule apparaissait dans un panorama composé de ventas infectes, de posadas douteuses, de mendians déguenillés. Les Gil Blas et les Don Quichotte ne courent plus les grands chemins. Le banditisme n’existe plus, personne n’a pris la place de ce José Maria qui parvint à traiter de puissance à puissance avec le gouvernement, et qui signa une véritable capitulation. Enfin l’Espagne de la fantaisie disparaît rapidement ; bientôt on ne rencontrera même plus l’ancienne race des muletiers, qui, l’escopette au poing, conduisaient leurs longs convois dans la montagne. Partout dans la Péninsule se créent des habitudes de travail ; l’agriculture et l’industrie se développent, et le mouvement naît. L’Espagne doit cela au crédit et à la confiance qu’elle a su inspirer. Cette confiante, elle doit la maintenir, l’accroître en aidant les relations internationales. Les Pyrénées, en restant pour elle une frontière politique, ne doivent pas l’isoler ; son commerce doit nécessairement s’étendre et chercher en France des débouchés qui, sans avoir assurément rien de périlleux pour son indépendance, ne peuvent être qu’un stimulant pour sa vitalité, pour ses forces productives, pour toutes les richesses d’un sol privilégié.


V. DE MAZADE.