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On l’a vu, les chemins de fer espagnols, depuis leur début, ont rencontré des difficultés qui devaient leur conseiller la prudence. Par le fait qu’une concession a lieu, il se crée immédiatement des intérêts auxquels on doit aide et protection : Or ce serait un singulier moyen de protection que de permettre immédiatement une concurrence. Le Crédit mobilier prenait le chemin de fer du nord au moment où une crise financière paralysait tous les marchés, et lorsque l’Europe, à peine remise de la guerre d’Orient, semblait déjà menacée de nouveaux conflits. Que fût-il arrivé si, cédant alors à des sollicitations imprudentes, on eût concédé la ligne des Alduides ? Probablement le chemin de fer du nord serait encore en question, et personne n’eût voulu se charger de la construction de la ligne de Pampelune à Alsasua, qui cependant était indispensable. Il est très vrai que lorsqu’une grande institution de crédit prend sur elle la lourde responsabilité qu’accepta le Crédit mobilier à cette époque, puisqu’il se mettait vigoureusement au travail avant même d’avoir pu émettre les actions du chemin de fer du nord, on ne saurait trop l’encourager. Aussi, pour le laisser libre dans ses mouvemens, le gouvernement a-t-il sagement agi en concédant la jonction de l’Océan à la Méditerranée par le chemin d’Alsasua, assurant ainsi un trafic considérable à la grande artère du nord, qui put alors respirer, libre pour le moment de toute concurrence.

Les circonstances ont changé. Le chemin de Madrid à Irun, dont l’existence eût été précaire sans une prolongation sur le territoire français, a vu concéder la ligne d’Irun à Bayonne. Le chemin de fer du midi, ce parent du nord espagnol, ne voudra pas retarder le moment d’augmenter ses recettes. Les documens mis au jour par la compagnie du nord attestent des recettes de 20,000 francs et plus par kilomètre. On a même fait prévoir des produits bien autrement avantageux lorsque cette voie, aujourd’hui implantée dans les plaines de Castille, aurait ses aboutissans. naturels, c’est-à-dire Madrid, Santander et Saint-Sébastien. Ces produits sont pourtant le résultat d’une exploitation encore naissante, manquant de matériel parfois et laissant à désirer pour le transport des voyageurs. Est-il une protection assez puissante pour se comparer à celle que donnent de pareils chiffres dans l’industrie ? Dans quelle position se trouverait au contraire la voie de Saragosse à Pampelune, si on ne construisait pas le chemin des Alduides ? Toute personne ou toute marchandise qui aurait suivi cette voie se verrait, à partir de Pampelune, forcée, pour pénétrer en France, de payer sur une autre ligne un parcours de 78 kilomètres de plus que si la voie avait été prolongée directement. Comme ce parcours n’aurait pas lieu sur la même ligne, il ne serait pas possible de procéder par une baisse de tarifs. Un pareil surcroît de frais ne constituerait plus la protection d’un droit acquis ;