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et me répondit : « Par là-bas ! » Je repris : « C’est à la barricade que vous commandiez, je m’en doute ; mais dans quelle partie du corps êtes-vous atteint ? » Il renouvela son geste, et répliqua : « Mais je vous le dis, par là-bas ! » Je compris alors de quelle façon le pudique Anglais m’indiquait où il avait été blessé, en se retournant pour donner un ordre à ses hommes, qui du reste se conduisaient très courageusement et virent emporter tous leurs officiers, troués par les balles, à l’exception d’un seul. À ce moment, des cris se firent entendre, et des gens effarés vinrent nous dire que Sant’Angelo était pris par les Napolitains. On ramassa une poignée d’hommes et l’on partit au pas de course. Le fait était vrai. Arrivées de Cajazzo, se glissant entre le fleuve et la montagne, des troupes royales s’étaient emparées des premières maisons du village ; elles marchaient en bon ordre et pouvaient facilement se rendre maîtresses de Sant’-Angelo, que rien ne protégeait de ce côté, lorsqu’une hésitation étrange se manifesta dans les rangs ; les chefs s’arrêtèrent, et le mouvement en avant fut comme suspendu. Nous accourions. Les royaux lâchèrent pied, laissant un bataillon tout entier entre nos mains. Un hasard inconcevablement heureux avait combattu pour nous et nous avait permis de reprendre l’offensive, — ces hasards, qui souvent décident du sort des batailles, ne doivent point être rares à la guerre. Les royaux s’avançaient presque en sécurité, ne trouvant aucun des nôtres devant eux, et faisant fuir à leur approche les quelques paysans restés à Sant’Angelo, lorsque, levant les yeux, ils aperçurent au sommet de Monte-Tifata les Siciliens qui le matin, au premier feu, étaient allés chercher cet inexpugnable refuge. Les royaux, en les voyant, se crurent devinés ; ils s’imaginèrent que ces hommes avaient été postés là pour leur tomber sur la tête ; ils s’arrêtèrent, estimant leur stratagème éventé. À cet instant, nous arrivions à toutes jambes pour les prendre de front ; une batterie vite retournée leur envoya quelques boulets sur leur droite ; ils se crurent attaqués sur trois côtés et nous abandonnèrent le terrain. Le chef de bataillon prisonnier s’approcha d’un de nos officiers supérieur, et lui dit : « Monsieur, je suis un galant homme, je vous prie de me faire fusiller et de ne pas permettre que je sois égorgé à coups de couteau, selon votre usage ! » À cette demande, nous eûmes un haut-le-cœur ; nous pressâmes le prisonnier de questions, et nous apprîmes alors qu’on leur avait dit à Capoue que nous coupions le cou aux officiers captifs et que nous torturions les simples soldats. Celui à qui le chef de bataillon, s’était adressé lui répondit : « Si vous avez faim, vous aurez du pain de munition, car nous n’avons pas d’autre nourriture ; si vous avez envie de dormir, nous vous donnerons notre paille la plus fraîche. Dès que la bataille sera finie, vous