Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/701

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de la Bourse de Paris que ces brusques mesures de préservation avaient été prises ; le reste de la France, qui en ressentait le funeste contre-coup, ne les avait en rien provoquées, car aucun sinistre commercial ou industriel ne vint heureusement les justifier. Que conclure de cette histoire d’hier ? C’est que le privilège exclusif de la Banque de France n’est plus en rapport ni avec la situation, ni avec les besoins du pays.

S’il fallait de cette vérité une preuve plus récente, les dernières déterminations prises par cette institution pour amortir le contrecoup de la crise anglaise et américaine ne démontrent-elles pas qu’elle est dans une situation fausse, et qu’il faut, dans son propre intérêt, qu’elle soit désormais préservée autrement que par les restrictions qu’elle apporte à son œuvre ? Les circonstances ont changé sa mission ; on a créé entre la France et les autres pays, par cette concentration de nos ressources en une seule main, une solidarité qui réjouit certains économistes, mais qui en réalité n’a pas sa raison d’être. Nous tendons à devenir, mais nous ne sommes pas encore un pays de grand commerce. La meilleure preuve que nous puissions en donner, c’est que nous exportons peu de numéraire. Notre fortune monétaire s’est accrue de près d’un milliard huit cent millions d’or depuis dix ans ; mais cette exubérance de richesse en métaux précieux a été et est journellement absorbée, ainsi que nous l’avons déjà dit, par les immenses travaux que nous avons entrepris. Si nous souffrons des crises monétaires, c’est que le métal monnayé n’a pas de concurrens dans les emplois nombreux où il nous est nécessaire ; son importance lui vient de l’effervescence de nos transformations matérielles à l’intérieur et pas du tout des besoins de notre commerce, qui, par suite de la constitution et du fonctionnement même de la Banque, est obligé de s’accoutumer tous les jours de plus en plus à ne pas compter sur son aide. Cependant notre organisation de crédit nous expose sans raison, sans profit et sans but, à partager les désastres des contrées essentiellement commerçantes. Ainsi je crois pouvoir dire par exemple que la question du coton, née des dissensions intestines des États-Unis, n’est pas une question de premier ordre pour la France comme elle l’est pour l’Angleterre[1]. Il

  1. La France est au troisième rang dans la consommation du coton, ainsi que le prouve le tableau suivant de la distribution de la récolte de 1860 :
    balles
    Grande-Bretagne 2,669,432
    États-Unis 978,048
    France 589,587
    Nord de l’Europe 295,072
    Autres ports de l’Europe 220,082
    4,752,221 balles.