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de la place qu’ils devaient occuper et remplir dans l’équilibre de notre économie générale. Ce déclassement de la main-d’œuvre ne pouvait s’opérer qu’à la condition d’une augmentation de prix. Dès lors les métaux précieux rassemblés par quelques mains pour un but collectif ont dû, en principe, être employés au paiement surélevé de cette main-d’œuvre dont on réclamait de toutes parts le concours. On ne paie les ouvriers qu’avec de l’argent ; il a donc fallu avoir une grande quantité de monnaie métallique affectée au paiement de la main-d’œuvre, et en ne s’inquiétant pas de combler le vide qu’elle laissait dans les fonctions où elle est indispensable, on a détruit au détriment de tous l’harmonie qui doit exister dans la répartition du numéraire.

Il y a quelques années, un honorable président du tribunal de commerce de la Seine disait : « Le capital tend tous les jours à être absorbé par la main-d’œuvre. » Avant que le numéraire dépensé pour satisfaire à l’exécution des grands travaux d’utilité publique reconstitue au moyen de l’épargne un capital de placement, il se passe en effet un temps assez long pendant lequel l’émission et la circulation des valeurs sont privées de ce mode indispensable d’échange. Ce phénomène économique doit encore s’ajouter aux causes qui troublent la situation financière, et il faut d’autant plus y prendre garde que l’opinion publique s’accoutume à voir dans l’activité des travaux publics la source de toutes les prospérités[1].

Les chemins de fer, en provoquant la création de la plus grande somme de valeurs mobilières qui ait jamais existé, ont été la cause première de cette grande faveur dont jouissent les travaux publics et des excès où le pays tout entier s’est laissé entraîner. Partout en effet, où ils ont été entrepris ils ont élevé la valeur des choses, le prix du sol, et, par la concentration sur certains points d’une masse énorme d’ouvriers, le prix des objets de consommation que fournit l’agriculture. On a donc pu croire qu’ils étaient un germe absolu de prospérité, tandis qu’ils ne faisaient en réalité que donner à la richesse du pays une valeur qu’elle n’avait pas et aux élémens de sa production des débouchés qui auraient sans doute concouru au bien-être général, si en même temps la concurrence que se faisaient entre eux les consommateurs agglomérés n’avait détruit le bienfait de la circulation plus facile et plus économique des denrées alimentaires, en établissant l’égalité du prix de ces denrées sur tous les points du territoire. Cependant, comme les voies ferrées donnaient à une grande quantité d’industries une activité inconnue, et qu’elles en

  1. Cette opinion parait si bien établie que l’un des fonctionnaires les plus importans du nouveau gouvernement de l’Algérie a pu dire que « pour lui la colonisation était surtout une question de travaux publics. »