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grosse aventure que l’on ne soit disposé à lui faire courir sous prétexte de la développer. En y comprenant les emprunts de l’état, des départemens, des communes et des villes, on ne peut cependant estimer à moins d’un milliard par an le chiffre des émissions de titres qui ont eu lieu sur le marché français depuis 1852, tant au compte de la France qu’à celui de l’extérieur. On sait par exemple qu’en 1860, malgré la difficulté des circonstances, il a été émis à la Bourse de Paris 2,178,618 titres, représentant à peu près 800 millions de francs. Or, comme ces émissions donnent en moyenne un emploi de plus d’un milliard par an, et que les économies du pays sont estimées au maximum à 6 ou 700 millions, il en résulte que nous avons été pendant huit ans en déficit de 3 ou 400 millions par an, et que nous avons à solder un arriéré de 2 ou 3 milliards qui ne sont pas encore entièrement payés, et qu’il faut prendre, non plus sur les économies, mais sur le capital du pays. C’est là qu’est la véritable cause de l’encombrement des valeurs fiduciaires qui maintient les crises ; mais outre l’état flottant dans lequel se trouve une partie considérable de la fortune mobilisée du pays, cette situation a encore occasionné dans la vente et l’achat des propriétés immobilières un mouvement inusité qui a augmenté les revenus de l’enregistrement, et cet accroissement extraordinaire dans les recettes du fisc a pu faire croire à une sorte de prospérité, lorsqu’en réalité ce n’était qu’une liquidation que tout le monde était contraint de subir pour satisfaire à des engagemens qui dépassaient les forces de chacun[1].

Les grands travaux publics, les grands établissemens propres à la fabrication des engins pacifiques et belliqueux ont constitué pour la France un impérieux besoin d’associations puissantes qui ont eu pour représentation de leur capital, ces titres mobiliers dont le nombre entrave maintenant la marche des autres élémens du travail. Outre le changement radical que ces associations ont apporté dans l’emploi et la manière d’obtenir des revenus des capitaux, elles ont produit un immense accroissement de la main-d’œuvre. Pour se procurer les ouvriers nécessaires aux grands travaux d’utilité publique, on en a détourné beaucoup de leurs aptitudes naturelles et

  1. « Les droits d’enregistrement, de greffe et d’hypothèque procurent au trésor des recouvremens qui varient selon le mouvement des affaires, le nombre et l’importance des transactions. Les résultats comparatifs de ces recouvremens permettent d’apprécier chaque année le développement de la prospérité générale du pays. En 1859, l’ensemble des droits d’enregistrement avait produit une somme de 271 millions de francs. En 1860, ces droits ont produit 301 millions de francs. L’augmentation d’une année sur l’autre a dépassé 20 millions de francs, qui s’appliquent pour 7,500,000 francs à la ville de Paris et pour 22 millions de francs au reste de la France. » (Exposé de la situation de l’empire présenté au sénat et au corps législatif. )