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choisir les travaux les plus dignes d’être couronnés. La moralité encore, c’est le succès obtenu par notre école de Rome, par tous ceux qui croient aux traditions dans l’art et à la vertu des fortes études ont applaudi quand ils ont vu que les anciens pensionnaires de l’Académie tenaient les premiers rangs. La moralité enfin, c’est la constance de l’administration, qui a résisté à toutes les intrigues et déclaré, selon le vœu exprimé par le jury, qu’une nouvelle épreuve était proposée aux cinq lauréats. Le concours s’est donc poursuivi jusqu’au bout, de telle sorte que, s’il ne produit pas les résultats qu’on a le droit d’en attendre, les architectes ne devront accuser qu’eux-mêmes ou la fatale décadence de notre époque.

Si le même principe était appliqué à l’exposition de peinture et de sculpture, l’opinion ne serait pas moins favorable, les avantages qu’on obtiendrait seraient plus certains. On m’opposera qu’il est bien tard, que depuis un mois déjà le Palais de l’Industrie est ouvert ; mais c’est pour cela précisément que j’insiste. L’esprit de système recule devant l’exécution, les faiseurs de projets se déconcertent quand il faut passer brusquement du rêve à l’action. Le propre d’une idée utile, c’est d’être toujours applicable ; la marque d’une réforme nécessaire, c’est de pouvoir s’accomplir sans secousse comme sans retard. Ce que je propose peut se réaliser demain, ce soir, à l’instant même. Que faut-il pour cela ? Un arrêté du ministre d’état, quelques lignes conçues à peu près dans ces termes : « Jusqu’au 15 juin 1861, l’exposition sera fermée, selon l’usage. Le jury s’assemblera aussitôt. Il désignera les œuvres les meilleures, dans chaque genre et en nombre déterminé. Cette liste réglera d’une manière absolue les récompenses qui seront décernées et les acquisitions qui seront faites par l’état. Après le concours, toutes les œuvres qui auront été choisies seront exposées de nouveau jusqu’à la fin du mois ; les autres seront rendues aux artistes. »

Quelques explications feront mieux sentir la portée pratique d’une telle mesure. D’abord nous voulons en France que l’on respecte nos habitudes et surtout nos routines. Toute réforme radicale sera repoussée, avec raison peut-être, parce qu’elle serait dangereuse. Entre les mœurs d’un peuple et ses besoins, entre les goûts d’une société et sa constitution, il existe une relation secrète qui échappe à la sagesse humaine et qu’on ne méprise pas impunément. Les médecins arrivent aux mêmes conclusions, lorsqu’ils comparent les appétits de l’estomac avec ses maladies. Les expositions sont pour notre siècle un besoin impérieux. Sont-elles bonnes, sont-elles mauvaises ? Abaissent-elles le niveau de l’art ou ne font-elles, que rendre manifeste un abaissement qui tient à d’autres causes ? Il n’est plus temps d’agiter cette question. En admettant même qu’elles soient un mal, les expositions paraissent un mal nécessaire. Si elles nuisent