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se renversent par un mouvement d’angoisse. La tête est penchée ; elle dénote non-seulement l’accablement, mais la concentration intense et navrée d’une grande douleur. Une chevelure épaisse projette son ombre sur le front et sur les parties de la tête les plus voisines. Le visage, quoique inspiré par la nature, a une teinte d’idéal, quelque chose de la beauté des masques tragiques. Le corps lui-même est agrandi, transfiguré. Ce n’est ni un type délicat que l’artiste a représenté, ni un malade ; c’est un jeune héros. La force physique fait avec l’abattement de l’âme un contraste qui était nécessaire.

La pensée de l’auteur est bien rendue, elle frappe. Ce corps presque affaissé à terre, cette attitude qui résume un drame ignoré, cette tête qui regarde sans voir, ces bras qui s’allongent dans un état de prostration, ces mains à demi tordues, ce poids général de tristesse dont le jeune homme est accablé, tout imprime au passant l’idée du désespoir. Si l’on s’arrête, si l’on contemple, si l’on se laisse pénétrer par l’éloquence muette qui rayonne d’une belle statue, on rêvera aux héros de la douleur que les poètes ont immortalisés ; on nommera Orphée pleurant Eurydice, Gallus que Virgile ne peut consoler, Chactas sur la tombe d’Atala ; peut-être même entreverra-t-on René dans les forêts du Nouveau-Monde ; peut-être murmurera-t-on quelques vers du Lac de Lamartine. Le sujet a ses dangers parce que la sculpture a ses limites. Le peintre peut tout exprimer : si les passions déforment les traits de ses personnages, il sauve les apparences, dissimule ou supprime, jette des ombres ou de la lumière, en un mot il a mille artifices ; d’ailleurs, le pittoresque lui est permis. Le sculpteur au contraire doit respecter des convenances sans nombre et n’a aucun refuge. La douleur ne doit jamais altérer ses formes, ni déranger ses lignes, ni surtout tracer sur le visage de ses statues une empreinte grimaçante. La beauté suppose le calme, c’est-à-dire le contraire de l’expression. L’expression pathétique, au lieu de se concentrer sur le visage, se répandra donc sur l’ensemble du corps. Il faudra qu’elle ressorte de la pose, de la tension ou de l’abandon des muscles, de l’attitude générale de la statue. Les exigences d’un art qui ne peut rien sous-entendre et qui doit tout ennoblir restreignent la puissance du sculpteur. Il est esclave de la ligne et doit repousser la sensibilité dès qu’elle cesse d’être sculpturale. On citera des artistes qui, par un don divin, ont su traduire la douleur la plus profonde sans que les formes perdissent rien de leur pureté : ainsi André de Pise parmi les sculpteurs, Fra Beato Angelico parmi les peintres, sans oublier Raphaël dans son Spasimo, ni Lesueur dans son Ensevelissement du Christ. Les anciens se défiaient de l’expression, même lorsqu’ils retraçaient les drames les plus émouvans : je ne parle pas du Laocoon, qui accuse déjà la décadence