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la brise régulière de ces latitudes, elle est au vent de Cuba, de la Jamaïque et de tout le golfe du Mexique. Ce qui est de plus infiniment remarquable et achève de déterminer en quelque sorte la prédestination maritime de ce beau centre, c’est la richesse de son territoire en matériaux propres à la construction navale. Non-seulement la presqu’île est dans toute son étendue splendidement boisée, mais l’Yuna, grande artère qui vient aboutir à la baie, et dont les eaux sont navigables à plus de vingt lieues dans les terres, offre son courant au transport des pins, des cèdres et des bois de toute sorte qui ombragent ses bords. Le gayac, les résines, le fer, dont cette partie de l’île abonde, le cuivre de la Mme de Maymon, le charbon de terre, dont des gisemens ont été découverts, peuvent également arriver par cette voie.

Ce beau et vaste pays n’est occupé que par une population de cent ou cent vingt mille âmes. C’est le résultat, non pas seulement de la cause originaire indiquée plus haut, mais encore des nombreuses perturbations subies depuis l’acte de cession à la France. La partie la plus saine de cette population, celle que le machiavélisme du gouvernement de Boyer ne poussa pas dans les colonies voisines lors de l’occupation de 1822, se retira dans l’intérieur des terres, surtout vers le nord-est, où s’étend le beau pays de Cibao. C’est dans ce noyau, d’environ cinquante mille individus, que se sont principalement concentrés l’énergie vitale du pays, le sentiment de la race, enfin la pureté de la race elle-même. Il ne faut d’ailleurs rien exagérer de ce côté : cette pureté est loin d’être générale, et c’est le sang métis qui domine, mais avec ce caractère particulier que dans la partie espagnole de Saint-Domingue, où l’élément aborigène se maintint assez longtemps et où l’élément africain fut toujours très faible, c’est entre Européens et Caraïbes que les croisemens eurent lieu. Or, le principe de la liberté originelle du Caraïbe se trouvant écrit et proclamé dans tous les actes de la colonisation, les familles qui descendent de ces unions, que la loi ne défendait pas de légitimer, sont très fières de leur double consanguinité. Pedro Santana se vante d’appartenir à cette descendance, dont le rôle est d’ailleurs aujourd’hui si marqué dans les républiques de l’Amérique du Sud. Il serait difficile de se faire une juste idée du degré de misère matérielle où est tombée une population si intéressante, sans cesse détournée de ses travaux pour courir à la frontière. Pas un mot n’est à retrancher de la partie du rapport du maréchal O’Donnell qui en fait le tableau ; Abîmée dans les luttes intestines, dévorée par la plaie du papier-monnaie, on n’a lieu de s’étonner que d’une chose : c’est qu’elle n’ait pas succombé avant d’être à même d’exécuter la résolution qui vient de la sauver.

Que diraient les publicistes qui attaquent si vivement aujourd’hui la