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et éclatant échec que se dessine plus nettement la politique d’effacement spirituellement résumée dans le mot de notre consul. Guerrier, Pierrot, Riche, vieux noirs abrutis, furent des choix excellens dans l’esprit de cette politique. Le dernier inspira sans doute un moment quelques inquiétudes ; mais il s’éteignit bientôt au milieu des sensuelles jouissances dont on avait pris soin d’enguirlander sa vie. Soulouque, son successeur, donna durant quelque temps les plus belles espérances : d’une ignorance enfantine, aimant la parade et les futilités du pouvoir, il semblait fait tout exprès pour le rôle qui lui était destiné. On sait comment ce Néron africain, répudiant tout à coup cette première partie de son règne, révéla au monde le terrible Faustin Ier en envoyant à la mort ses Sénèque et ses Burrhus mulâtres. La caste entière y eût passé, si l’un de ses derniers survivans n’eût renversé le tyran juste au moment où il venait de prononcer son arrêt de mort. La présidence de Geffrard est donc, par le fait, une nouvelle tentative de gouvernement direct que font les sang-mêlé, tentative évidemment imposée par des circonstances de force majeure, par un suprême effort du sentiment de conservation.

Comme toujours, ce gouvernement nouveau s’est inauguré par une foule de lois et de proclamations plus libérales les unes que les autres, et comme toujours l’Europe a battu des mains, à ces manifestations qui promettent de « faire entrer Haïti dans une voie nouvelle. » Le président Geffrard paraît être un homme intelligent ; il serait difficile de ne pas admirer l’énergie morale dont il a fait preuve dès son avènement au milieu des plus douloureuses circonstances ; enfin nous le croyons doué des meilleures intentions. Néanmoins, et plus de deux ans d’exercice du pouvoir ne le prouvent déjà que trop, Geffrard ne fera pas plus que ses prédécesseurs. On peut comparer son gouvernement à celui du sultan et dire de ses prescriptions libérales ce qu’on a dit ici même avec tant de justesse des réformes financières de la Turquie : le président mulâtre tapisse sur l’Europe. Il n’a rien fait et ne peut rien faire. Il est destiné à tourner dans ce cercle énervant et fatal où Pétion s’est éteint de consomption et de dégoût, où Boyer n’a pu se maintenir qu’à force d’effacement, et qu’Hérard a dû franchir au péril de sa vie après quelques mois d’étouffement et de lutte. — Oppression et impuissance", tel est le rôle de la démocratie noire à Haïti ; libéralisme et impuissance, tel est celui de l’oligarchie mulâtre. Il faut avoir le courage de le reconnaître aujourd’hui qu’on n’a plus aucune raison, philanthropique pour essayer de se le dissimuler, ce peuple n’a tenu aucune des promesses dont la France libérale s’était plu à entourer son berceau. Jamais nationalité naissante ne fut plus favorisée que la sienne. « Tout existait, dit un écrivain contemporain de sa première émancipation ;