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par les populations insurgées et par la flotte anglaise, qui vint leur prêter assistance, la ville succomba à la famine après des prodiges de courage. C’est par les nobles paroles du général anglais qui en prit possession que la France, absorbée dans sa grande lutte continentale, connut pour la première fois cet héroïsme lointain de ses enfans. Ce fut en 1809 que s’accomplit cet événement militaire, qui, grâce au concours de l’Angleterre son alliée d’alors, remit l’Espagne en possession de son ancienne colonie.

L’occupation espagnole à l’état de conquête dura jusqu’en 1814, époque où elle se trouva légalisée par l’article 8 du traité de Paris, dont la clause finale dispose que « sa majesté très chrétienne rétrocède en toute propriété et souveraineté à sa majesté très catholique la partie de Saint-Domingue cédée à la France par le traité de Bâle. » Cette reprise de possession n’entraîna aucun changement, aucune modification, qui fussent de nature à modifier l’état du pays : la mutuelle léthargie de la métropole et de la colonie (on sait ce qu’était alors l’Espagne) dura jusqu’à la plus prochaine révolution. Commencée en 1821, à l’exemple de ce qui se passait sur le continent voisin, où s’écroulait de toutes parts l’empire colonial de l’Espagne, elle se termina par l’annexion qu’accomplit l’année suivante le président Boyer, qui avait succédé à Pétion dans le gouvernement de l’ancienne partie française. Les écrivains haïtiens ont appelé cette prise de possession une conquête des cœurs, et la protestation du président Geffrard parle de « la libre et propre volonté des populations de l’est, qui ont, pendant vingt-deux ans, vécu de la même vie politique et sociale que celles de l’est… » Ce n’est là qu’une phraséologie de convention. La vérité est que l’occupation de la partie orientale s’accomplit alors par des procédés d’intimidation et de corruption qui ne différaient guère de ceux de Toussaint.

L’élite de la population émigra, dépouillée de ses biens par cette simple et commode mesure de la vérification des titres de propriété exigée de personnes qui n’en avaient jamais eu. L’Espagne en prit occasion de faire une démonstration conservatrice de ses droits. En 1830, un envoyé du roi Ferdinand, don Felipe de Castro, vint réclamer du gouvernement de Boyer une indemnité pour les colons expropriés, offrant de reconnaître à cette condition l’indépendance du territoire de l’est, comme la France avait reconnu, cinq années auparavant, celle du territoire de l’ouest ; mais la mission que le cabinet de Madrid avait confiée à don Felipe de Castro n’était pas appuyée de toute une escadre comme celle dont le cabinet des Tuileries avait chargé le baron de Mackau : elle échoua. On s’y attendait certainement, et elle n’était évidemment qu’un prétexte et une occasion de protester diplomatiquement contre cette prise de possession,