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fermes ordinaires, où il est lavé par les pluies et détrempé par les eaux de la mare. Le système est excellent ; il permet de compter sur cinquante ou soixante voitures de fumier, soit de 35 à 40,000 kilos d’engrais dans l’année par bête à corne nourrie à l’étable, et il a reçu les éloges motivés d’autorités agronomiques telles que Schwerz et Mathieu de Dombasle. Ce dernier fit même imiter les dispositions des fermes campinoises dans l’établissement de Roville, et il en constate avec détail les résultats avantageux dans ses Annales.

Trois grandes portes s’ouvrent dans l’étable que nous venons de décrire. Les deux premières servent d’issue aux voitures qui emportent le fumier ; la troisième fait communiquer la plate-forme avec la pièce principale de la maison du fermier. Là, dans une cheminée énorme, dont l’âtre mesure au moins douze ou quinze pieds, est suspendue une gigantesque chaudière où cuit le mélange de navets, de pommes de terre et de tourteaux destiné aux vaches. Comme il serait impossible de transporter à bras d’homme cette marmite cyclopéenne, elle est soutenue par une sorte de grue faite grossièrement en madriers de chêne fixés dans le foyer et tout couverts d’une couche épaisse de suie et de fumée. À l’heure des repas, cette machine informe, mais ingénieuse, tourne sur ses tourillons, la porte de l’étable s’ouvre, la poutre horizontale y pénètre, et, semblable au bras de fer d’un géant, transporte la pâture jusqu’auprès des auges des animaux, qui mugissent de satisfaction quand ils entendent les grincemens accoutumés de la manœuvre quotidienne. La grande pièce dont l’immense cheminée occupe toute une paroi sert à la fois de salle de réunion, de réfectoire pour les ouvriers et d’atelier pour toutes les préparations de l’exploitation. C’est même là qu’on bat le beurre, et dans un coin on remarque la baratte, mise en mouvement d’ordinaire par une énorme roue placée hors de la maison, et que fait tourner le chien de garde.

Les fermes de la Campine n’ont point l’aspect coquet et soigné que présentent souvent celles des Flandres. Les vergers sont plus rares, les pelouses et les clôtures moins bien entretenues ; les fleurs exotiques ne résistent guère aux rudes coups des rafales d’hiver, et les vives peintures des portes et des volets n’attirent point ici l’œil du passant. C’est que le passant est rare, et qu’avant de songer à le charmer il faut penser avant tout à soutenir une lutte incessante contre une nature hostile. De grands toits de chaume, qui descendent presque jusqu’à terre, semblent envelopper toute la demeure d’un manteau épais et sombre. Souvent même les murs des étables et le côté de la maison qui est exposé aux vents les plus violens sont garnis extérieurement d’une sorte de rempart en gazon de bruyère qui repousse le froid et l’humidité. L’ensemble a quelque chose de