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le Piémont était le Piémont, rien que le Piémont ; il n’était pas encore italien, il fallait qu’il le fût, à tout prix, ou l’Italie entière., s’éloignant de lui, aurait bien pu arrêter au Tessin la frontière péninsulaire. En restant immobile, assis au pied des Alpes, tandis que les volontaires du monde entier combattaient pour la grande cause, il ne s’associait à leur œuvre que par ses vœux ; il attendait, en regardant ses rizières et ses pâturages, qu’on lui apportât les provinces et les royaumes qui loin de son action se donnaient à lui ; il s’isolait de plus en plus, il restait au nord, en haut de l’Italie, comme un maître presque étranger, et non point comme un frère partageant le péril ; il daignait recueillir les fruits de la victoire sans avoir pris part à la lutte ; tranchons le mot, au point de vue italien, il se déshonorait, devenait impossible, perdait tout droit à la direction des événemens, et jetait la péninsule dans une révolution sanglante dont il eût été la première victime, et dont l’Autriche aurait profité. Déjà, quand le ministre de France engageait M. de Cavour à traiter avec la cour de Naples, celui-ci fut en droit de lui répondre : « Si nous faisions ce qu’on demande, on nous jetterait par les fenêtres[1]. » Le passage des frontières romaines était donc pour le Piémont une de ces questions d’existence devant lesquelles un gouvernement, quel qu’il soit, ne peut reculer. Il a suivi sa voie, il a joué sa vie pour assurer celle de la patrie commune, et le pays tout entier l’a approuvé : le Piémont par ce fait est devenu Italie.

L’entrée de l’armée piémontaise dans les états du pape modifiait essentiellement notre situation ; au lieu de marcher en avant, nous n’avions plus qu’à rester immobiles, attendant que les soldats de Victor-Emmanuel eussent fait leur jonction avec les nôtres. Toute tentative pour franchir le Vulturne et isoler Capoue de Gaëte devenait inutile, car les royaux n’allaient pas tarder à se trouver pris entre deux armées et réduits à l’impuissance. En conséquence on envoya un émissaire secret au major Csudafy pour lui apprendre la perte de Cajazzo et lui porter l’ordre de revenir. Il quitta Piedimonte, où il s’était retiré, attirant vers lui un corps de quatre mille Napolitains auxquels il avait livré deux combats à Rocca-Romana et à Pietra-Mellara, et, faisant le grand tour par Bénévent, il rentra à Caserte, ramenant sa vaillante petite troupe, qui avait souffert de grandes privations. et à laquelle les combats avaient tué soixante-deux hommes. Il vint nous voir à Naples, et ce ne fut pas sans une vive joie que nous lui donnâmes l’accolade du retour au palais de la Foresteria, qui nous servait de quartier-général.

J’avoue sans honte que je m’ennuyais à Naples ; je n’avais plus

  1. Documens diplomatiques français, p. 153.