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la monotonie que présente la demi-obscurité de ce bois gigantesque, et l’on voit s’élancer le long de ses vertes murailles des plantes et des arbrisseaux de toute espèce, avec leurs fruits mûrs ou leurs fleurs bariolées. Ici ce sont des arbustes sauvages, cerisiers, pommiers, poiriers, tout chargés de leurs fruits, là des guirlandes de vigne vierge pliant sous le poids des grappes, plus loin des baies de ronces, des roses sauvages, en un mot toute une riche végétation naturelle qui semble rendre hommage au souverain de la forêt, au pin majestueux et fier, qui s’élève royalement vers le ciel, et, déployant ses rameaux avec grâce, offre l’abri le plus sûr aux habitans ailés de cette magnifique solitude, en même temps qu’il fournit aux Italiens une abondante moisson de pignoli.

« Malgré les violentes émotions que devait lui causer la vue de la Pineta, le général était parfaitement disposé ce jour-là et d’une humeur très communicative. Il commença par nous donner quelques détails sur sa dernière expédition, qu’il appelait una campagna magnifica, non-seulement parce que les dangers auxquels il s’exposa, lui et les siens, étaient peu de chose, comparés aux succès de la campagne, mais surtout parce que dans tout le cours de la guerre il n’avait pas été obligé d’adresser un seul reproche, d’infliger une seule punition à ses soldats. Il donnait des louanges sans bornes aux Romagnols, et disait qu’entre toutes les villes de la Romagne Ravenne s’était toujours fait remarquer par l’absence complète de l’esprit de caste, comme par la loyauté et la concorde de ses habitans. Il nous signala plusieurs personnes qui, en 1849, à l’heure du péril, lui avaient prêté l’assistance la plus dévouée. Il s’étendit longuement et avec une complaisance visible sur le dévouement d’un certain Bonnet de Comacchio, qui l’avait sauvé, au péril de sa vie, des griffes des Autrichiens.

« Si le cœur du général était rempli de ces sentimens de reconnaissance pour les braves Romagnols, les Romagnols de leur côté n’avaient pas oublié l’homme pour lequel ils s’étaient exposés si généreusement, et l’annonce de son excursion dans la Pineta avait animé tout à coup d’un singulier mouvement les sentiers déserts de la forêt ; A mesure que nous avancions, c’étaient à chaque instant des ovations et des hommages. Quels magnifiques types de beauté virile que ces Romagnols ! La force, l’énergie, la loyauté rayonnent de tous les traits de leur visage. Quelques-uns d’entre eux, à la vue du héros, semblaient muets d’émotion. Ils lui serraient convulsivement les mains et tenaient attachés sur lui leurs grands yeux noirs, dont le langage était plus éloquent que les plus belles paroles.

« Nous avions parcouru environ treize milles quand les ombres de la forêt commencèrent tout à coup à s’éclaircir. La voiture, faisant un brusque détour, s’arrêta devant une métairie ; je sus bientôt que nous nous trouvions dans la fattoria du marquis Guiccioli, et que la modeste chambre où nous étions rassemblés était précisément l’asile où Anita Garibaldi, victime de son amour conjugal et de son invincible héroïsme, avait rendu le dernier soupir entre les bras de son mari consterné… Je n’en finirais pas, si je voulais dire toutes les marques de joie que le métayer et sa famille prodiguèrent au héros après ces dix années de séparation, et quelles années, quelles longues années d’épreuves ! Je dirai seulement que dans cette maison solitaire,