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soit pendant le siège, soit après la prise de Rome : il s’agit d’un corps franc de deux mille hommes qui, de la Méditerranée à l’Adriatique, traverse l’Italie, tantôt parcourant les États-Romains, tantôt franchissant la frontière toscane, poursuivi par les armées de deux puissans états, bravant ces deux armées pendant quatre semaines et menaçant de grandes villes comme Arezzo… » Ce sont de telles aventures et de tels périls que l’ardente Brésilienne n’avait pas craint de partager avec l’homme dont elle portait le nom. Il faut ajouter qu’elle était enceinte alors de son quatrième enfant ; mais laissons parler ici Garibaldi lui-même, en traduisant Elpis Melena.


« Tous mes avertissemens, toutes mes prières furent inutiles ; en vain la suppliais-je de considérer l’état où elle se trouvait. — Tu ne veux pas m’avoir auprès de toi, disait-elle, et tu cherches des prétextes pour m’éloigner. — Elle me demandait ensuite si je doutais de son courage. N’avait-elle pas bien supporté maintes épreuves ? n’aimait-elle pas cette belle vie de soldat, cette vie à cheval ? Est-ce que les combats n’étaient pas pour elle un plaisir ? Que lui. importaient les privations et les fatigues, lorsque, associée à mes travaux, elle vivait si énergiquement de la vie du cœur ?… A Saint-Marin, pendant notre mouvement de retraite, des symptômes d’une maladie mortelle se déclarèrent chez Anita ; j’insistai pour qu’elle s’arrêtât dans cette ville, mais ce fut en vain. Plus s’accroissaient nos dangers, plus sa résolution était inébranlable.

« A Cesanatico, toute une nuit fut employée à préparer le départ des bateaux qui devaient nous conduire à Venise. Appuyée contre un rocher, Anita suivait des yeux notre travail avec une sympathie douloureuse. On s’embarqua ; hélas ! les secousses des flots aggravèrent l’état de la malade, et, pendant tout, le temps qu’elle dut rester à bord, ses souffrances ne lui laissèrent pas un instant de relâche. Elle était à demi morte et incapable de se tenir debout quand je débarquai avec elle sur les bords de la Mesola. Elle espérait que le séjour à terre allait lui rendre ses forces… Hélas ! la terre n’avait plus à lui donner qu’un tombeau ! »


Les six années qui suivirent la mort d’Anita ne sont pas la période la moins agitée de cette vie extraordinaire. Personne encore ne l’a racontée en détail ; Elpis Melena en trace seulement le programme, pour ainsi dire, d’après les conversations du général. Le premier acte de ce nouveau drame, c’est la fuite de Garibaldi, traqué par les Autrichiens dans la forêt de Ravenne. Pendant trente-cinq jours, il erra de buisson en buisson, de rocher en rocher, tandis que sa tête était mise à prix, et que les Croates, le sachant aux environs, battaient la forêt de tous côtés. Avec l’audace du partisan et la finesse du sauvage, le proscrit, admirablement secondé d’ailleurs par le dévouement des Romagnols, finit par dépister l’ennemi. Il traverse de nouveau l’Italie, on devine au milieu de quelles aventures,