Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/603

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


II

Quand Elpis Melena, son pèlerinage terminé, se rembarqua sur le Virgilio pour retourner à Gênes et à Rome, elle n’emportait pas encore avec elle les notes biographiques qu’elle avait demandées au solitaire de Caprera. Elle possédait, il est vrai, depuis 1853, grâce à l’entremise du capitaine D…, la partie des mémoires où Garibaldi raconte son enfance, sa jeunesse, et surtout ses aventures guerrières dans l’Amérique du Sud ; mais ce qu’elle était allée chercher à Caprera, le récit des destinées du général pendant la période qui s’ouvre en 1848, surtout le tableau de sa vie errante après la prise de Rome, elle n’avait pas réussi à l’obtenir. Garibaldi, tout occupé du défrichement de son domaine, s’était déclaré incapable de reprendre la plume. Elpis Melena ne se découragea point ; l’été suivant, en 1858, elle fit de nouveau le voyage de Caprera, et, ne trouvant pas le général plus disposé que l’année précédente à écrire ses commentaires, elle le pria de vouloir bien au moins lui raconter en détail toute cette période récente de sa vie. Garibaldi se mit donc à rassembler ses souvenirs, Elpis Melena prenait des notes. Pour compléter certaines parties de sa narration, le général poussa la complaisance jusqu’à indiquer à Elpis Melena les mémoires et chroniques où elle pouvait puiser à pleines mains. Ainsi, sur la défense de Rome, en 1849, on a le Journal d’Italie du major Hoffstetter[1], et, pour ce qui concerne la retraite des garibaldiens après la victoire des Français, la Narrazione de Ruggieri. Il lui signalait aussi la Storia della Rivoluzione romana par le Calabrais Biagio da Strongoli. C’est ainsi que, traduisant d’abord l’autobiographie du héros, puis complétant ces pages par toutes les indications qu’elle avait recueillies elle-même, elle se mit à rédiger en allemand les deux volumes intitulés Mémoires de Garibaldi.

Nous n’avons pas la prétention de reproduire ce prodigieux roman d’aventures. Elpis Melena nous donne l’assurance qu’elle n’a rien changé au texte, qu’elle n’a pas songé un seul instant, comme on a pu le faire ailleurs, à des embellissemens, à des combinaisons plus ou moins littéraires et dramatiques ; partout où Garibaldi prend la parole, on peut être sûr que personne n’a corrigé son style. Telle qu’elle est pourtant, cette traduction fidèle renferme tant de choses incroyables qu’on est tenté d’y voir à chaque page ces exagérations naïves d’où sortent les légendes populaires. En attendant que le

  1. Garibaldi in Rom, Tagebuch ans Italien, 1849, von Gustav von Hoffstetter, damaligen Major in roemischen Diensten ; 1 vol. in-8o, 2e édition, Zurich 1860.