Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/598

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les hauteurs, rien autre chose que de rudes masses de granit formant comme une chaîne de montagnes, et se dressant en amphithéâtre devant le voyageur étonné. Tout ce qui entoure ici Garibaldi est grandiose et sévère, comme si la nature avait voulu préparer un retiro approprié au Cincinnatus de notre siècle.

« Des lentisques, des myrtes, des bruyères, avec des milliers de plantes odoriférantes, interrompues çà et là par des blocs de granit d’une forme capricieuse, couvraient le terrain qui va s’élevant, tantôt par une pente insensible, tantôt par des escarpemens subits, du rivage de la mer à la maison du général. Après une marche d’une demi-heure environ, nous atteignîmes un mur de clôture qui enferme le jardin de la maison, et toute une meute de chiens s’élança au-devant du maître avec de joyeux aboiemens.

« — Voici sans doute les ruines de votre première habitation ? dis-je au général en lui montrant les débris d’une cabane de planches.

« — De la seconde, répondit-il. La première n’était qu’une simple tente ; mais, si vous le permettez, je vous conduirai dans la maison que j’habite aujourd’hui, et qui est solidement bâtie en granit. Elle n’a qu’un seul étage, comme vous voyez, et, d’après le style de l’Amérique méridionale, elle est couverte d’un toit plat couronné d’une coupole.

« L’extérieur comfortable de cette maison fit sur moi une agréable impression, et l’intérieur, je pus m’en assurer bientôt, ne restait pas au-dessous de ce qu’on devait en attendre : toutes les façades dans les choses de ce monde ne méritent pas un pareil éloge. Partout ici les dimensions étaient grandes et belles ; on voyait que l’auteur du plan avait songé à faire circuler l’air et la fraîcheur bien plutôt qu’à remplir les autres conditions architectoniques.

« Dans la chambre de l’un des deux amis qui partagent depuis plusieurs mois la rustique solitude de Garibaldi à Caprera, une petite collection d’armes, entourée de drapeaux et de bannières, attira mon attention. Je demandai au général quelques explications à ce sujet, mais il trouva aussitôt un prétexte pour s’éloigner, ne voulant pas, je le sus plus tard, être le cicérone de ses propres trophées. C’étaient des souvenirs de bataille qui rappelaient les plus brillans épisodes de son héroïque carrière. Parmi ces trophées se trouve la bannière dont la ville de Montevideo fit présent à son brave défenseur après le combat de Sant’-Antonio. Ce jour-là, un grand et mémorable jour, le 8 février 1846, Garibaldi, à la tête de deux cents Italiens, se vit tout à coup entouré par douze cents hommes de l’armée de Rosas, sous le commandement du général Servando Gomez. Au lieu de se contenter d’une attitude défensive, ce que le plus brave général pouvait faire sans honte dans une situation si critique, il attaqua l’ennemi avec ses deux cents hommes, et, après une lutte sanglante qui ne dura pas moins de cinq heures, Gomez fut obligé de se retirer avec son infanterie rompue et sa cavalerie en déroute, abandonnant le champ de bataille au vainqueur…

« Quand nous eûmes fait le tour de la maison, le général nous obligea d’entrer dans sa chambre pour nous réchauffer au feu pétillant de son foyer ; mais nous n’avions pas de temps à perdre, le ciel devenait orageux