Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 33.djvu/596

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les premières paroles avec le noble soldat. Dès ces premiers mots, — était-ce la magie de cette personnalité si cordialement sympathique ? était-ce simplement le bénéfice des circonstances qui m’avaient fait connaître les détails de sa vie ? — je ne sais, mais je me sentis immédiatement à l’aise avec le général comme on l’est avec un vieil ami. Je ne tardai pas à lui révéler le but de mon voyage dans l’île Maddalena, ce but que lui seul pouvait me faire atteindre ; je ne réussis pas, il est vrai, car le général me répondit que ces documens, l’objet de mes ardens désirs, n’étaient plus en sa possession ; malgré cette déconvenue, l’avantage de connaître personnellement le général était pour moi un dédommagement si précieux que je ne songeai pas un seul instant à regretter l’insuccès de mon entreprise. J’éprouvai une vive jouissance à recueillir ses vues si justes, si nettes, sur la présente situation politique de l’Italie, et quand il fit connaître son opinion sur les embarras actuels de l’Angleterre, ce me fut une agréable surprise de lui entendre exprimer son respect et sa sympathie pour notre grande nation, car la justice politique ne se trouve guère, comme on sait, chez les peuples opprimés, et une appréciation impartiale des vertus et des avantages de l’Angleterre est certainement une rareté dans tous les pays du monde ; mais c’est surtout en parlant des espérances et des souvenirs de l’Italie que son éloquence se déploya tout entière. Le feu de l’enthousiasme jaillissait alors de ses profondes prunelles, et son visage classique, sur lequel les qualités les plus différentes, la fermeté du caractère et la douceur, l’austérité et la courtoisie, la dignité et la modestie, s’unissaient dans la plus harmonieuse perfection, ce classique visage était comme illuminé de cette belle fierté de l’âme que connaissent seulement les êtres privilégiés. Je compris l’ascendant de cette personnalité puissante, je compris l’espèce de culte que devaient lui rendre ses soldats, et quels actes de courage, quels prodiges d’héroïsme elle pouvait leur inspirer.

« — Mais où comptez-vous descendre ? me demanda le général, lorsque l’arrivée du capitaine D… l’avertit que rien ne s’opposait plus à notre débarquement.

« — Mon ami, répondis-je en invoquant le témoignage du capitaine, mon ami assure qu’il y a ici une maison où l’on héberge les étrangers.

« — Oui, sans doute, dit le capitaine, chez Baflb, sur la place, nous trouverons bien deux chambres.

« — Il vous sera impossible d’y rester, reprit Garibaldi. Le plus sage est d’accepter l’hospitalité sous mon toit. Je regrette de ne pouvoir vous faire un accueil plus digne, mais je vous offre de bon cœur tout ce que je possède. Disposez absolument de ma maison et de ses modestes ressources. Venez, montez dans mon canot ; au coucher du soleil, nous aurons atteint Caprera. »

« Cette invitation était faite d’une façon si hospitalière, avec une sincérité si cordiale, que j’eus vraiment beaucoup de peine à ne pas m’y rendre. Cependant le désir de visiter d’abord l’île Maddalena, et surtout la crainte de causer quelque gêne indiscrète dans la maison du général, m’empêchèrent d’accepter. Nous dûmes seulement nous engager à passer chez lui la journée du lendemain.