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Qui jamais a parlé de l’isola Maddalena ? Et pourtant ce n’est pas l’attrait des souvenirs qui lui manque. L’île Maddalena, la Phintonis des anciens, a joué son rôle au moyen âge comme dans l’antiquité. Ces forts détruits qui couronnent si pittoresquement ses hauteurs, ces forts dont les murailles renversées semblent se confondre avec les masses de granit qui les portent, ne disent-ils pas quelle était l’importance de ce lieu de refuge contre les attaques des navires ottomans et les pirateries des corsaires barbaresques ? Plus tard, n’est-ce pas dans ce paisible archipel que Nelson le héros de la marine anglaise, Nelson dont le nom est encore populaire sur ces plages, avait établi son quartier-général ? Aujourd’hui même l’île Maddalena n’est-elle pas depuis longues années le séjour d’un vieillard, aussi richement doué par l’esprit que par le cœur, et qui est peut-être le seul ami survivant du grand Byron et du malheureux Shelley ? « Enfin n’est-ce pas sur les rivages de sa voisine, de sa cœur Caprera, que le Cincinnatus de nos jours s’est retiré, disant adieu au monde et à ses trompeuses espérances jusqu’à l’heure où, ses concitoyens devenant dignes et capables d’être libres dans ce pays que tant de divisions déchirent, l’annonce de cette bonne nouvelle lui fera quitter sa charrue ? » Elle part donc ; elle a donné rendez-vous à Gênes à son vieil ami, le capitaine D…, et tous deux vers la fin de septembre, par une triste et pluvieuse journée, s’embarquent sur un assez pauvre paquebot à vapeur, le Virgilio, qui fait tous les mois le service de Gênes à Maddalena.

Le lendemain, au point du jour, le ciel avait repris sa splendeur. Pas un nuage ne faisait tache sur l’immensité bleue. Une brise tiède et pure se jouait à la surface des flots, et l’on apercevait à l’ouest les rivages de la Corse avec leurs belles forêts entrecoupées de champs de vignes et de plantations d’oliviers. Quand le navire arriva dans ces terribles Bocche di Bonifacio si redoutées des marins, la mer, calme et souriante, semblait un lac enchanté. Que d’îles et d’îlots épanouis au soleil ! Voici l’île de granit appelée il Cavallo ; voici le groupe des îles Lavezzi, où périt si tragiquement notre frégate la Sémillante. C’était pendant l’hiver de 1855. La Sémillante portait en Crimée plus d’un millier de soldats et un matériel d’artillerie considérable, quand elle vint se briser sur ces rochers. Pas un homme n’échappa, et les cadavres que les vagues rejetèrent sur la côte furent les seuls messagers du sinistre. « Ils allaient à la mort, dit Elpis Melena, ils avaient fait le sacrifice de leur vie en allant détruire les murs de Sébastopol ; mais la mort du soldat est douce, et quand on marche à ce but illustre, il est dur de rencontrer une tombe sans gloire au fond des flots. » Autour de ce lieu funèbre s’aperçoivent d’autres îles, d’autres groupes appelés d’un nom semblable,