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une admiratrice passionnée du patriote de Caprera, qui dessine elle-même avec tant de soin la touchante et vénérable figure de Pie IX dans un livre dont Garibaldi sera le héros.

Elpis Melena était arrivée à Sinigaglia le soir même du jour où Pie IX venait d’y faire son entrée au milieu d’une foule immense et des plus naïfs témoignages d’une affection sans bornes. Un prélat romain, Mgr B…, lui avait donné des lettres de recommandation pour ses deux frères, dont l’un était gonfalonier et l’autre syndic du port ; mais comment trouver ce soir-là deux notables, deux dignitaires de la cité ? Ils faisaient partie, sans nul doute, du cortège de Pie IX ; or tandis que le fidèle Giuseppe, frappant de porte en porte, finit par découvrir un. misérable gîte où sa maîtresse pourra passer la nuit, Elpis Melena se mêle à la foule et prend sa part des joies populaires. Il faut que ce spectacle l’ait frappée, car elle en raconte les plus petits détails d’une plume alerte et gracieuse :


« On ne peut contester aux Italiens le goût et l’habileté qu’ils déploient dans l’organisation des fêtes. Pendant mon long séjour dans le midi, j’ai eu souvent l’occasion d’admirer ce sens plastique vraiment inné chez eux ; mais Sinigaglia surpassait ce soir-là tout ce que j’avais vu, soit en Toscane, soit dans les états du pape, soit dans le royaume de Naples, et si je dis que la petite ville tout entière était transformée en une salle de bal éblouissante, je ne donnerai au lecteur qu’une faible idée du magique tableau qu’elle présentait.

« Les feuilles de myrte et de laurier répandues de tous côtés embaumaient l’air de leurs parfums, en même temps qu’elles formaient comme un beau tapis sur le sable des rues. D’une ligne de maisons à l’autre s’étendaient des baldaquins en forme de tentes. De petites lampes rouges, vertes, blanches, bleues, jaunes, rivalisaient par l’éclat varié de leurs couleurs avec les fleurs à demi cachées dans les guirlandes de feuillage qui enveloppaient les piliers. Des femmes jeunes et vieilles, parées de leurs plus riches atours, de rieuses jeunes filles, de joyeux bambins remplissaient les sièges étroitement pressés l’un contre l’autre, tandis que ceux qui les accompagnaient, debout derrière les spectatrices, échangeaient des plaisanteries avec leurs amis passant au sein de la foule, et paraissaient tout heureux du succès de la fête. Ici un chœur de voix d’hommes chantait la Bandiera bianca, là un orchestre jouait les morceaux favoris des opéras à la mode. Ici on prenait des glaces et des sorbets ; là des groupes de curieux regardaient partir un ballon lumineux ; ici c’était une troupe de paysans, là une bande de joyeux matelots qui attiraient tous les yeux en dansant les danses nationales. De rue en rue j’apercevais toujours des arcs de triomphe plus richement ornés, et ma surprise allait sans cesse croissant à la vue de ce luxe de draperies suspendues à toutes les fenêtres. Le coucher du soleil n’enleva rien à l’éclat de la fête ; dès que ses rayons mourans enflammèrent l’horizon et que l’Occident ferma ses portes, des milliers et des milliers de lampes étincelèrent tout à coup d’un bout de la ville à l’autre ; partout des feux, partout des