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doctrine ne convient pas à tous, et que Saint-Cyr doit se mener par les voies simples (par les lazaristes et Godet).

Godet fut très adroit. Il avait inquiété Mme de Maintenon sur les doctrines, mais savait bien qu’elle y était peu engagée, qu’elle ne tenait qu’aux personnes, à celle qu’elle voulait décidément s’approprier. Sans délai ni ménagement, courtisan sous sa forme rude, il fit ce qu’il fallait pour sceller, murer sur la Maisonfort les portes de cette maison : Le 2 février 1692, assisté de ses lazaristes, il lui fit déclaration qu’elle devait sortir ou se faire religieuse. Nous l’apprenons par la lettre où sa protectrice la félicite de ne pas vouloir sortir.

Sortir ? mais où aller ? Elle était restée là sept années, les plus belles de la jeunesse, sans récompense ni salaire, et au bout de ce temps on la mettait nue dans la rue. Pâlie de travail et de larmes, retournerait-elle vers le monde, qu’elle ne connaissait plus, le vaste monde, froid, étranger. Plus de famille : la maison paternelle est fermée par la belle-mère et une sœur à marier. Un couvent ? et lequel osera la recevoir ? Mme Brinon, à sa sortie, n’en trouva pas un qui s’ouvrît ; elle fût restée sur le pavé sans la bonté courageuse d’une princesse allemande. « Mais, dira-t-on, si elle restait seule ? » Comment eût-elle vécu ? Eût-elle travaillé de ses mains ? Les dames de Saint-Cyr étaient, il est vrai, grandes tapissières, Il eût paru étrange pourtant qu’une demoiselle noble gagnât sa vie ainsi. On n’eût pas voulu y croire, et on l’eût dite entretenue (ce mot entre alors dans la langue). La calomnie, dont on accable si aisément une femme sans défense, eût mis en interdit sa pauvre petite industrie !

L’ordre cruel de sortir ou de se faire religieuse lui fut donné en plein hiver. La dure exécution se fit entre deux fêtes, lorsqu’on célébrait le mariage de deux bâtards du roi, celui du duc du Maine avec la fille du prince de Condé, celui de Mlle de Blois avec le duc de Chartres. Le roi se donnait le bonheur de glorifier son vieux péché, d’égaler, de mêler aux vrais princes du sang ces enfans du scandale. Des dots monstrueuses furent données. Tout était à Versailles pompe et lumières, banquets, tables de jeu ; tout à Saint-Cyr douleur et deuil.

Un petit fait que nous fournissent les lettres de Mme de Maintenon ne contribua pas peu, je crois, à la rendre cruelle, à l’éloigner des voies d’indulgence et de liberté où Mme Guyon l’avait un moment engagée. Dans une des instructions éternelles dont elle fatiguait les demoiselles de Saint-Cyr, une étourdie eut l’imprudence de rire. Une autre, qui jouait très bien dans Athalie, se montra orgueilleuse et un peu indisciplinée. Ces choses durent l’aigrir et la sécher encore. Elle s’en prit moins aux enfans qu’aux jeunes dames qui les